-
Par dominiqueOriata TRON le 7 Novembre 2022 à 06:17
Opus 1842, version du 6 novembre 2022
LA CHUTE QUE L’ON A PRIS POUR VIE
Qu’est-ce qui serait plus cruel
que la prison injuste et les harassements
sinon de s’éveiller dans son cercueil cloué
après que l’on fût cru mort et enterré?
Voilà ce que craignait ma mère ,Yvette
et pour cela elle voulait être brûlée
et qu’on mêle ses cendres à la terre
au pied de l’arbre de la Sainte-Baume
où elle avait cueilli son premier champignon
reconnu comme non vénéneux, bon à manger.
Je ne comprenais pas enfant , pourquoi ,
arrivé à Marseille par bateau
avec elle et mon père Ferdinand
après être passé devant la colline des singes à Gibraltar
Il fallait désormais se passer de jardin,
Et vivre entre des murs avec un couloir étroit,
traverser l’asphyxie nauséabonde qui pourtant
paraissait déléctable à tant de rats ,de cafards ,
et même à quantité d’hommes, femmes et enfants
addictés au prestige des distractions toxiques des villes.
C’était pour moi déjà la mort à petit feu, une angoisse
de somnambule acrobate au cœur de l’endormissement
Oh oui que je sombre plutôt dans le sommeil profond
Pour me refaire dans le ciel des immortels ou au moins
m’éveiller face à face avec les monts enneigés de l’Atlas
Oh oui que je grandisse encore en vis-à-vis
Des eaux qui submergèrent dit-on une Atlantide !
Pourquoi mon père fit cesser mes doigts sur le piano
qui faisait se lever mon chant ma danse à Agadir ?
Pourquoi ensuite dus je voir tant de villes s’accroître non-stop
et débordersur toutes les campagnes où je vécus par la suite ?
Pondichéry, Tahiti, Den Pasar à Bali , et pourquoi
ceux qui fuient la campagne l’associent à l’ennui
lui préférant la servitude volontaire à travailler la terre,
et bradant la verdure héritée ou conquise
et méritée par des travaux sensés , le labeur-jeu fertile ?
Et pourquoi taxe –t-on d’indécence la nudité
en appelant péché et tentation ce que la conscience
ordonne au sexe d’engendrer par instinct inconscient ?
Partout , même dans les paroles il reste scandaleux
de déchirer les voiles qui déguisent la piraterie,
les vrais péchés de l’orgueil populaire et des tyrans icônes ?
Ces murs ne protègent plus des razzias mais asservissent
et si je resister à l’appel de déchirer l’ensorcelement
des vêtements et des œillères pour les bras et les jambes
ce n’est que bien caché que j’écoute sans crainte
mes fontaines d’atomes, les yeux ouverts et fermés
Et ce n’est que sur scène ou loin de tout témoin
que je peux tâtonner rayonner , réinventer ma forme
sans que les regards des soumis et des dominateurs
deviennent astralement coupants comme couteaux-cuisine
il est bien loin le temps où sur les quais du vieux port à Marseille
les saltimbanques sur leur seule inspiration partageaient leurs talents
Désormais pour l’espace public il faut faire processions
Dans les bureaux des services compétents pour des autorisations
Et j’ai entendu même sur la plage une mère dire à son enfant :
« Ne le le regarde pas , ce fou qui danse au lieu de se poser
Viens plutôt , j’ai du pain-beurre et de la confiture si tu as faim »
Et voilà qu’avec le jour qui avance vers midi,
des groupes affluent avec leurs décibels et leurs alcools.
Les murs sont dans la tête avec leurs bruits à l’extérieur
d’adaptation et de consentement aux industries d’hypnose
dont l’ivresse détourne de l’infini ce qui n’est pas payant.
O faux médicaments , boutiques où s’achètent
La caricature de joie revendiquée à faire fuir les méditants
Oh saccage du temple des forêts pour élever des sancruaires
Aux fleurs du mal avec quelques reflets de vraie beauté
Fugace… Où donc fuir, s’isoler, seul ou en groupe au delà
de ces enfers tonitruants se clamant paradis ?
Peu à peu les jardiniers qu’étaient supposés devenir
les primates humains désaddictés des mirages de leurs chutes
ont sacré les hiérarchies qui transforment la planète en tombeaux
où le grand air du large est diffmam ou distillé au compte goutte
pour que survivent les zombis du monde virtuel
car même pour atteindre les lupanars et les abattoirs
où éteindre l’ennui il leur faut des bouffées d’oxygène
votre commentaire -
Par dominiqueOriata TRON le 10 Mai 2014 à 13:49
A la fin de la lettre en espagnol au Defensor del pueblo, on trouvera des liens vers les scans des papiers présentés et que la fonctionnaire du bureau d'immigration d'Ibiza prétend ne pas avoir vu, ainsi que la lettre où elle confirme sa version, sont accessibles , avec leur traduction en espagnol, par les liens fournis plus bas.
Le 24 avril 2014 nous avons reçu une lettre de l'immigration d'Ibiza nous signifiant le rejet de la demande de carte de séjour de mon épouse Nimozette . La télévision parle d'actuelle chasse aux sans-papiers pour les expulser de l'île de Formentera où est notre domicile . La chef de bureau nous reproche de n'avoir pas fourni des papiers que nous avons en fait fournis , ce qu'a reconnu un avocat (mais une fois au bureau il s'est contenté de répéter le verdict de l'immigration).La chef du bureau d'immigration à Formentera a également reconnu que les papiers étaient complets mais elle ne peut rien pour contrer sa supérieure d'Ibiza. Ce qui manquerait, c'est : 1/ la preuve du mariage, 2/la preuve d'une assurance maladie, 3/la preuve de revenus suffisants. En fait nous avons fourni toutes ces preuves , et donc nous ne savons pas comment réagir à une mauvaise foi aussi délibérée et c'est pour cela que nous vous contactons pour vous demander conseils et aide. Je donne maintenant le détail de ce que nous avons fourni, avec la traduction du traducteur agréé, et qui est déclaré non fourni :
1/Nous avons présenté un certificat de mariage par le consulat français de Douala , il était de plus de trois mois , mais accompagné un certificat de naissance de moins de trois mois de l'Etat civil de Nantes qui,alors en train de corriger une faute dans le nom de mon épouse, ne pouvait pas nous donner de certificat récent de mariage (il le peut désormais). Cependant la chef de l'immigration d'Ibiza nous avait dit que serait recevable une actualisation de moins de trois mois de notre certificat de mariage camerounais par l'ambassade d'Espagne à Yaoundé, qui nous a facturé son avocat, et par le ministère des affaires étrangères du Cameroun. Nous avons présenté ces papiers , puis a fonctionnaire a dit que cela ne prouvait pas que nous n'ayons pas divorcé depuis leur délivrance.
2/ Nous avons présenté une attestation de ma caisse de prévoyance sociale de Polynésie Française dont je suis ressortissant qui a donné à Nim en tant qu'épouse de français un numéro pour tout remboursement médical mème à l'étranger . Là on nous a demandé la preuve que la couverture maladie était aussi complète que celle d'une assurance espagnole. Alors la CPS de Polynésie Française nous a fourni des documents signés et tamponnés donnant des détails sur cette couverture, supérieure à celle des assurances d'Espagne. Comme cela ne suffisait pas encore pour le bureau d'Ibiza qui n'a même pas lu le papier, mon épouse a cotisé à l'assurance de la banque Caixaet cette assurance CAIXA prend en charge actuellement dans sa clinique le processus de mon épouse vers l'accouchement. On accuse mon épouse d'ètre sans assurance alors qu'elle est couverte par deux .
3/On m' accuse de ne pas avoir de revenus suffisants pour accueillir mon épouse en Espagne. Or, j'ai fourni la preuve de ce que je bénéficiais d'une pension de retraite et d'une retraite complémentaire et que le montant total est légèrement supérieur au minimum de 880 euros exigé par le règlement actuel de l'immigration espagnole tel qu'il m'a été montré par ce bureau. De plus il fallait montrer un certificat bancaire de 8700 euros de réserve, ce que j'ai fait. Mais comme sur le titre de propriété de mon domicile il est mentionné que le terrain est en indivision avec mon ex-épouse, la chef de bureau a dit que je devais présenter une somme de 15500 euros car j'avais à ma charge 4 personnes. Elle n'a pas voulu les certificats de revenus de mon ex épouse et de son conjoint. J'attendais donc pour relancer ma demande que soit finalisée la succession de ma mère veuve, récemment décédée
Mon épouse craint de continuer à se rendre au cours d'espagnol pour étranger de crainte d'y ètre arrètée et d'entrer dans le cycle rétention, expulsion, interdiction de séjour. Cette lettre du 24 avril donnant la preuve écrite de ce que le bureau d'Ibiza prétend que des documents manquent alors que je peux donner la preuve de ce qu'ils existent, et qu'ils auraient pu être transmis pour décision au bureau de l'immigration de Majorque .Comme elle doit régulièrement prendre le bateau pour la clinique d'Ibiza, il serait catastrophique qu'elle soit arrêtée par des contrôles du port, et qu'ensuite la situation devienne encore plus compliquée et traumatisante.
Estimados señora, señor,
Nosotros, Nimozette NZOKE , ciudadana camerunesa, y Dominique Tron, ciudadano frances, vivimos juntos desde el 20-01-2009. El consulado francès en Camerun ha autorizado nuestro casamiento, celebrado el 11-08-2012. Como mi domicilio es en la isla de Formentera en Baleares, la embajada de España en Yaunde ha dado un ''visado familiar UE'' a Nimozette, que nos ha permitido vivir en España desde al 13-05.2013.
La oficina de imigraciòn en Formentera nos ha recibido amablemente y nos ha facilitado una primera cita el 03-07-2013 en la oficina de extranjería de Ibiza, con toda la documentación requerida. Pero en Ibiza, nos pìdieron màs papeles, verbalmente, y los hemos entregado en la secunda cita del 28-10-2013.Nonobstante, por correo del 11-04-2014, la oficina de Ibiza declara que la solicitud de tarjeta de residencia de Nimozette Nzoke esposa Tron fue rechazada por las siguientes razones : - ausencia de certificado de matrimonio - ausencia de acreditaciòn de medios de vida suficientes - ausencia de asistancia sanitaria en España. En los pajina web que os ajunto (escaneos y traduccionnes oficiales), pueden ver que todos estos certificados existìan a la fecha de la cita .
El certificado de matrimonio estaba confirmado por la embajada española de Camerun que nos havia facturado el trabajo de verificaciòn de su abogado. Habia estado confirmado por el ministerio de asuntos exteriores de Camerun. Habia estado confirmado por un certificado de matrimonio del consulado frances y por la oficina central del Estado Civil francès en Nantes (Francia) en los registros matrimoniales de un extracto de nacimiento de menos de 3 meses.
En lo que trata del seguro médical : hemos presentado varios certificados de la CPS (caja de seguridad social de Polinesia francesa) que mostran que Nimozette Nzoke esposa Tron tenia cobertura social automaticamente, con un numero proprio, al estar casada con Dominique Tron. La CPS suministrò pruebas que reembolsaba los gastos medicos dados en España y la lista de todas las prestaciones que cubría . Como eso aún no parecia suficiente para la oficina de Ibiza y que lo pedia, he contratado un seguro privado en la Caixa para Nimozette Nzoke esposa Tron actualmente embarazada y cubierta por la clinica de este seguro.
La acreditación de medios de vida suficientes . Yo, Dominique Tron he mostrado que yo recibia mensualmente una suma superior a la suma exigida , con mi pension de jubilaciòn francesa (CPS) mas una pension de jubilaciòn complementaria ( Humanis). Ademas he presentado un acto de propriedad de nuestra residencia con un testamento a favor de Nimozette Nkoke Tron . He suministrado el certificado bancario, pedodo oralmente por la oficina de Ibiza, enseñado que tenia en mi cuenta màs de los 8513 euros requiridos . Pero a la cita del 28-10-2013 la responsable de la oficina de extranjeria de Ibiza pretendiò que habia pedido 15525 euros requeridos en la cuenta bancaria . Eso porque yo, D.Tron, tengo el terreno y la casa de Formentera a mitad con mi exesposa Christine Imbert Tron. Christine vive en la otra parte de la casa con su novio Antonio Marin Sanchez independientemente de nosotros, ellos tienen sus proprios ingresos y no son a mi carga . Solamente mi esposa Nim esta a mi carga.
En los escaneos ajuntos en la pagina web, hay todas las pruebas de los papeles presentados con fecha de menos de 3 meses a la fecha del 28-10-2013 con sus traducciones oficiales. Igualemente hay papeles con fecha anterior y posterior . Hay un escaneo de la carta de la oficina de extranjeria del 11-04-2014. Como la television anunciò un proceso de expulsion de Formentera de los extranjeros sin tarjeta de residencia, tememos esta detenciòn durante una nueva cita en la oficina de extranjeria en Ibiza que niega haber visto nuestros papeles el su carta de 11-04-2014. Hemos contactado Don Alaro Gil-Robles que nos aconsejò de solicitar la ayuda de usted, el actual defensor del `pueblo en España. Atentamente
Dominique Tron , NIE : Y1495755-X
Nimozette Filola Nzoke esposa Tron, NIE provisional Y3208760K, pasaporte camerunès : 01715004
Los escaneos del papeles y los traduccionnes :
1)los papeles enseñando el casamiento (que sean los para la cita de 28-10-2013 como los del 03-07-2013 http://fr.scribd.com/doc/222895463/1-mariage -
2)los papeles enseñando los dos seguros de salud para Nimozette Nzoke TRON y el seguro de Dominique Tron , con muchos detalles http://fr.scribd.com/doc/222897299/2-Assurance
3) los papelos papeles de los ingresos de dominique Tron (pensiones, certificados bancarios, el titulo de propriedad) http://fr.scribd.com/doc/222899432/3-revenus
4)nuestros papeles de identidad, y la carta de rechazo de la oficina de Ibiza el 11-04-2014, los certificados de empadronamiento y de conviviencia http://fr.scribd.com/doc/222901235/4-carta-id-etc
5)otros documentos como el visado familiar UE , el certificado de la escuela de idiomas para los extranjeros, el testamento a favor de Nimozette, el certificado del ginecologo, de las ecografias probando el embarazo en 2014, el certificado de los ingresos de mi exesposa Christine Imbert Tron, y de su novio Antonio Marin Sanchez , el certificado del traductor oficial http://fr.scribd.com/doc/222902406/5-otrosDoc
-
29août 2014 : la carte de séjour a finalement été accordée à Nim suite à l'intervention du défenseur des droits en Espagne et d'une avocate ...Le defensor del Pueblo nous a transmis la réponse du bureau de Majorque : les papiers demandés par le bureau d'Ibiza et copiés pour le defensor n'avaient jamais été transmis, on nous suggérait de faire une autre demande .Cette fois , le dossier de demande a éte enfin transmis à Majorque puis approuvé mais ilne comportait aucun des papiers demandés par la chef fanatique qui les bloquait en contestant leur véracité, papiers qui avaient coûté de longues et coûteuses démarches d'avocat et de traductions officielles, ces papiers supplémentaires n'étaient pas nécessaires selon la loi...Le dossier a pu être transmis par l'employée d'Ibiza à Majorque un jour où sa chef de bureau était en réunion avec la police.L'avocate qui nous a secondée au final était une argentine devenue espagnole qui elle même au temps de ses études avait mis cinq ans à obtenir sa carte de séjour. Pour nous, le processus global aura pris six ans et sa résolution est une bouffée d'air car la non existence administrative tuait d'avance tout projet de façon ruineuse et faisait vivre dans un climat de crainte d'expulsion ... Lorsque l'employée a tenté de demander d'autres papiers que ceux que nous avions réunis pour sa chef, l'avocate venue de Barcelone lui a fait clairement comprendre quels aient les papiers réellement exigés par la loi. Plusieurs avocats nous ont confirmé (tout comme un consul de France , comme je je raconte sur http://oriata.blog4ever.com/ ) qu'officieusement les obstructions sont encouragées en haut lieu au delà de celles légalement programmées) Le processus de concrétisation de ce changement va prendre quelques temps, et ce septembre , Nim accouche de Noa.. Merci à tous ceux qui ont facilité nos démarches matériellement ou soutenu psychologiquement.
Le 7 septembre 2014 : Nim a retiré sa carte de séjour au bureau de la police d'Ibiza, et notre enfant Noa est né le 13 septembre.
votre commentaire -
-
Par dominiqueOriata TRON le 24 Avril 2014 à 22:19
D'Elsa Triolet et d'Aragon, ce couple étonnant qui se portait chance et portait chance, ma connaissance est relative. Je m'en suis rendu compte depuis que j'ai accès à Internet, car j'y ai découvert toutes sortes d'aspects de leur existence que j'ignorais. Par exemple, si j'en crois un texte de Ristat sur le net, j'ignorais qu'ils avaient chacun eu des amants tout au long de leur idylle commune... et j'apprends par Nicolas Mouton l'existence d'une lettre d'Elsa où elle espère qu'Aragon la comprenne plus authentiquement et la rencontre enfin… moi je les avais vu jusque là comme un couple exclusif et satisfait , et je trouvais bien perverses les langues stylées qui susurraient, afin d'expliquer leur intérêt à mon égard , que j'avais été moi même le jeune gigolo de l'un ou de l'autre . J'ai découvert également à l'ère du Net que je ne fus pas le seul qui en les fréquentant fut appelé fils...
Bref, les souvenirs que j'ai d'Elsa et Aragon sont en fait incrustés dans les circonstances personnelles qui me les firent connaître, et c'est la raison pour laquelle j'ai eu une réticence à les publier avant que cela me soit demandé, car je ne peux parler que de moi-même dans mon rapport à eux, et ce que j'ai perçu d'eux fut nécessairement conditionné par ce que je vivais avant de les connaître. Je vais donc parler de tout cela sans fard, juste comme j'envoyais un texte à Aragon pour son journal, certain d'avance d'avoir carte blanche ... Tant pis pour les étranges admirateurs d'Aragon capables de dénigrer Elsa et qui estimeront mon témoignage hors sujet et excessivement égocentrique...
En Septembre 1965 fut publié mon premier recueil de poèmes STEREOPHONIES, par Seghers, avec une préface d'Elsa Triolet. J'avais correspondu avec Elsa depuis décembre 1964.
C'est fin décembre 1965 qu'afin de la connaître, elle ,et Aragon , je suis monté dans le train de nuit pour Paris, sans prévenir mes parents. C'était une fugue, je venais d'avoir 15 ans. Cette année-là, mon père Ferdinand pas une fois ne m'avait adressé la parole, il me faisait manger dans la pièce voisine.
Il fouillait mes affaires, pour m'interdire la poésie et la pratique de tout art, car il n'y voyait que piège, illusionnisme, vanité périlleuse, et cela compromettait l'image qu'il se faisait de moi en tant que prolongement instinctif de lui-même, géomètre... Comment pouvait-il imaginer, lui tant angoissé et dénué de tendresse, qu'il pourrait me convaincre ainsi d'adhérer à son utopie technocratique... Ma mère, soumise et impuissante, souvent en larmes , ne jouait plus de piano. Sur ordre de son époux, elle y avait renoncé et avait cessé de me l'enseigner, tandis que mon frère cadet était envoyé au Conservatoire, alors que sa motivation était faible. C'était comme si la gouvernance familiale de mon père consistait à plier les destinées à des décisions prétendues sages mais qui étaient complètement incohérentes. Ma mère Yvette racontait craindre que je n'assassine son mari Ferdinand en pleine nuit, pour la venger. Elle qui avait été premier prix de virtuosité au Conservatoire de Marseille, elle se lamentait aussi de n'avoir pas épousé plutôt Barbizet qui avait été son condisciple et qui était ensuite devenu célèbre.
Le couple de mes parents, né d'un mariage arrangé par leurs proches, me paraît aujourd'hui l'association d'un pseudo esprit scientifique et d'un pseudo esprit artistique excluant tout esprit de recherche et de création, mathématiques et musique n'étant valorisées que comme des activités sociales.
Yvette avait d'abord pratiqué puis enseigné le piano sous le portrait de Pétain avant de rencontrer Ferdinand qui, lui, persécuté et radié du port de Marseille par le même Pétain parce que né étranger, avait répondu à une annonce pour un poste de géomètre en Afrique. A peine arrivé il y avait été mobilisé puis s'était déplacé avec les bataillons de cette France Libre où les Noirs étaient majoritaires. Après le débarquement de Marseille il fut transféré de nouveau au Soudan Français, puis fut recruté au Maroc. A Marseille, Ferdinand épousa ma mère lors de ses vacances de décembre 1948, puis repartit avec elle et le piano à Bin el Ouidane où je naquis en 1950 . Ils revinrent à Marseille peu après l'indépendance du Maroc.
Lorsque j'étais en classe de 6ème, Ferdinand, même le dimanche ou en vacances, m'enfermait à clef avec la mission de résoudre des équations du bac. Alors j'avais insularisé les éjaculations de mon mental dans les équations mathématiques, et avec les outils balbutiants de cette prison je m'étais construit une voie vers la liberté intérieure, celle que procure la concentration créatrice... Mais je préférais poursuivre cette concentration à travers la poésie, qui était une façon discrète de retrouver l'accès à la musique qui m'avait été interdite après les premières années de l'enfance... Je m'étais donc mis à faire sonner les mots en silence et en cachette – puisqu'il ne me fallait faire aucun bruit dans la maison, toute ma vie étant supposée devoir se consacrer à l'idéal technocratique de mon père, caricature de modernité.
Ce n'était pas contre le bel équilibre des mathématiques que montait ma révolte, car les nombres règlent partout le cosmos, mais contre la surveillance manipulatrice de ma vie quotidienne dans une société semblable à celle des termites, où des comités secrets dévorant les reines manipulées vivantes, aveuglent les travailleurs et tuent ceux qui naissent avec des ailes. A l'époque j'étais amoureux d'Elisabeth, mais l'enfermement où nous confinaient nos deux familles réduisait notre fréquentation à la rue où nous attendions pour cheminer ensemble vers nos Lycées, le sien le lycée Longchamp de jeunes filles, et le mien Saint Charles de garçons.
Et donc ce mois de décembre 1965, sur un coup de tête, j'étais monté, sans prévenir ma famille ni personne, dans le train de nuit à la rencontre d'Elsa et Aragon. En lisant leur histoire et leurs ouvrages, j'avais projeté sur eux une image de parents idéaux. Dans le wagon froid et humide, je rêvais d'eux comme à de vrais parents chaleureux et encourageants qui allaient m'ouvrir les portes d'une chambre pleine de douce plénitude. J'imaginais l'oreiller, les tapisseries, la chaleur, la patience et l'écoute. Et c'est vrai, ils eurent à mon égard la sagesse de la bonté, de l'indulgence, ils savaient reconnaître en un enfant les dons spirituels susceptibles de croître en dépit de son désordre mental, et toute ma destinée d'artiste en fut ensuite miraculée, tellement ils se montrèrent dithyrambiques à mon égard, ce qui favorisa mes projets, en fait loin de la France où je ne restai que quelques années.
J'étais donc arrivé dans leur salon, j'étais maintenant seul face à eux dans un fauteuil moelleux, pour la première fois tout près d'Elsa, à sa droite et face à Aragon silencieux, souriant avec un regard tendre et malicieux, comme étonné par l' audace de ma fugue et hochant la tête pendant que son épouse parlait. Comme on se tape la tête sur un mur, elle ressassait ce qu'elle savait des politiques totalitaires qui avaient fait souffrir continûment les siens en Russie, et qui les avaient abusés en dépit de leur bonne foi, de leurs idéaux de jeunesse. Mirage des propagandes, de la fonction poétique prompte à maquiller le cynisme, les sacs de nœuds de l'Histoire. Elsa écrira un peu plus tard dans ''La mise en mots'' qu'elle avait pu se tromper, être trompée, à cause de sa propension à faire naïvement confiance. Mais le pessimisme têtu définitif n'est-il pas encore davantage mortifère ?
Elsa et Aragon étaient pour moi des icônes de véritable humanité, actives à résister à l'absurdité de la vie sociale, et capables de compassion pour les résignés. Ils étaient conscients de ce que leurs souffrances passées avaient été semblables à celles de tant d'autres humains. Et même s'agissant de leur amour dont ils parlaient comme de la chance de leur vie, Elsa affirmait que d'autres couples avaient également certainement trouvé un équilibre de même type, ils étaient seulement beaucoup moins visibles en raison de leurs activités moins voyantes et des concours de circonstance. Je voyais Elsa et Aragon comme des gens exceptionnels étant restés plus modestes que les médiocres orgueilleux qui jugeaient de tout, quelle que soient leur origine sociale, et qui étaient des références de sagesse pour mes propres parents. Elsa et Aragon me souhaitèrent la Bienvenue dans l'humanité.
En 1965, Elsa venait d'écrire ''Le Grand Jamais'', et dans notre première conversation, elle m'informa du fait qu'en Union Soviétique on gommait sur les photos d'archives l'image des disgraciés. Puis elle s'interrompit, m'ouvrit une boîte de chocolats, me questionna sur la musique de Xenakis, car dans un courrier, j'avais prétendu imiter avec des mots la quête de paroxysme de ce compositeur, qu'elle ne connaissait pas encore, mais elle était un esprit curieux de toute nouveauté. En fait j'avais plutôt projeté sur une œuvre de Xenakis, Metastasis, mes exaltations, mes retrouvailles avec l'infini et la musique, la mise en explosion progressive de ma tragédie personnelle, qui avait débouché sur la poésie.
La poésie était pour moi une façon instinctive et de transposer mes rêves de musique, de danse et de peinture, pratiques qui ne pouvaient être assumées clandestinement dans l'appartement familial et auxquelles je pus ensuite consacrer ma vie, pour une grande part suite aux interventions d'Elsa et d'Aragon pour en obtenir les moyens matériels.
Aimantée par le mythe du Paris artistique, Elsa avait quitté la Polynésie où elle avait fait un long séjour mais elle s'y ennuyait, quoique les pics de Moorea lui fasse penser aux tours du Kremlin. En plus grandiose, forcément. Sur la suggestion de Gorki, cela avait donné son premier livre. Or c'est dans ces îles que j'allais surtout vivre ma vie adulte, et m'épanouir au niveau humain et artistique, et continuer à me sentir bienvenu dans l'humanité, tandis que l'Europe ne m'avait laissé que souvenirs d'une mystification colossale, mis à part ce couple et quelques autres qui parvenaient à y surnager et à y répandre presqu'en vain leur éthique.
Ensuite, plus tard, à l'âge adulte, mes instructeurs furent des danseurs, des musiciens : Roger Ribes, Pak Lemping, Sri Kothandaramen, Anuben Purani, et encore plus radicalement le yogui Agastyar. Mais ce sont Elsa et Aragon qui, lors de mon adolescence, facilitèrent mes aspirations à une vie libre et choisie, par cette attitude paternelle et maternelle qui consiste à donner carte blanche à un enfant. Pour moi, ce n'était pas ordinaire cette confiance qui prend le risque de l'erreur, mais sans laquelle toute nouvelle vie est maudite comme semence stérilisée... D'autres jeunes qu'ils encouragèrent centraient leurs ambitions sur Paris, mais ce n'était pas mon cas, car moi lorsque je débarquais chez eux, je ne rêvais que des Galapagos, c'était même là où j'avais situé le paysage de ma première pièce de théâtre, à 14 ans, une histoire de marins en quête de Paradis, mais qui portaient en eux des graines d'enfer, pièce qui avait été aussitôt rendue publique à Marseille par la compagnie des 4 Vents, par le truchement d'André Remacle, romancier communiste qui m'avait donné l'adresse d'Elsa et Aragon.
Mon utopie, c'était une vie à deux près de ces oiseaux des Galapagos qui ne craignaient pas encore l'être humain. Voilà ce qu'était mon obsession dans la conversation de ce jour-là, rue de Varenne. Le tableau de Matisse accroché au mur offrait par des couleurs un avant goût d'un tel Eden, ou du moins des circonstances de l'esprit le rendant accessible. Je songeais qu'il pouvait être vendu à un prix extraordinaire, qui pourrait avoir la capacité de concrétiser assez vite mes rêves d'évasion vers l'infini via le Pacifique. Aragon qui comprit ce que je voulais suggérer, m'interrompit pour me dire à quel point il tenait à la présence quotidienne de cette peinture. Mais il ne vit qu'innocence dans ce qui eût paru bien coupable à des nantis. Cette première visite de Décembre 1965, Elsa l'évoque dans une lettre à sa sœur dont j'ai pris connaissance bien plus tard, lorsque sa correspondance fut publiée, après son décès. A Lili, elle m'avait décrit comme sale, radin et génial. Aouéé ! Elsa exprime aussi des réminiscences de cette journée là dans une émission où elle présenta, juste après, mon livre à la télévision *note 3
Génial ? A l'âge adulte je me suis demandé ce qui avait donc fait qu'elle me trouve génial, moi qui avec le temps en était venu à considérer mes écritures d'adolescence comme un pot pourri d'intuitions salvatrices et de confusions chroniques de la conscience... Mais à l'époque, j'étais assez immature pour être sidéré d'entendre Aragon lui-même dénigrer plusieurs fois comme plutôt futile ce qu'il avait écrit avant le Crève-Coeur (j'ai découvert bien plus tard, sur le Net, qu'il avait fait la même confidence à Michel Apel-Muller). Pour ma part, une fois adulte, j'estimais erratique tout ce que j'avais produit avant le théâtre catalytique des oiseaux de paradis et ses gymnosophies.
Or, même au 21 ème siècle, lorsque des lecteurs m'écrivent de France, c'est presque toujours pour s'être reconnus dans mes livres écrits avant l'âge du 20 ans, c'est-à-dire dans mon désespoir et instinct de fuite de l'époque. Je dois dire qu'avant l'âge du Net, ma production de l'âge adulte devint difficilement accessible, vu qu'il s'agissait de théâtre dansé et que j'ai passé la majeure partie de ma vie loin d'Europe. Mais je sais que dans une multitude d'îles de Polynésie, exercent des institutrices et d'autres anciens élèves qui ont gardé de moi le souvenir de l' animateur qui les a accueillis adolescents avec sa flûte de Pan dans l'utopie évolutive de son théâtre, près d'un grand pamplemoussier, sur la colline au-dessus de Papeete. A vrai dire, pour vraiment apprécier les œuvres de ma maturité, il faut être un lecteur ou une lectrice se penchant sur mes productions comme sur des partitions à déchiffrer pour se construire et s'instruire en pratique, notamment en dansant et chantant.
D'évidence, l'adjectif génial est attribué aux artistes qui correspondent aux attentes de celui qui le prononce, et je suppose, à lire l'art poétique de Boileau, que ce dernier n'aurait trouvé génial ni Rimbaud ni les surréalistes, et pas même les romantiques. De la même façon qu'un micro ou un haut-parleur restituent un spectre sonore limité, les musiciens de sensibilité baroque, rock, gambuh, kébyar, karnatique, kaïna, catalytique ou autre, ont besoin d'une écoute volontariste pour découvrir les richesses de leurs confrères d'autres sensibilités. Par chance, chez Elsa, l'écoute était spontanée.
Alors je peux comprendre que mon obsessionnel refus adolescent d'un contexte social asphyxiant ait pu paraître génial ,comme l'annonce d'une évasion ,ce qui est au fond une aspiration généralisée chez les humains. Je crois que ce qui leur a plu c'est ma capacité à ''mettre les pieds dans le plat'', et c'est aussi ce qui me valut par la suite d'être boycotté par tant d'autres en Europe . Mettre les pieds dans les plats des parades mondaines de littérateurs en quête de carrière plus que d'envol ... le genre d'animaux qui gravitaient en grand nombre autour de la notoriété d'Elsa et d'Aragon. Pour moi , dès le début , la danse de l'artiste était porteuse de germes d'évolution de l'espèce humaine vers un quotidien vivable, et la poésie en était un souffle ... Par chance je n'étais pas seul à me révolter obsessionnellement contre l'indignité sociale banalisée , c'est ce qu'avaient fait toute leur vie Elsa et Aragon. .
Je suppose donc que ce qu'Elsa avait trouvé génial dans mes balbutiements d'adolescent c'est cette révolte crue contre les fatalités prédatrices qui s'exprime avec tant de subtilité et de spontanéité dans ses romans. Et il me semble que c'est cette quête tellement sincère et sans apprêt de femme résistante au mauvais sort qui fit qu'Aragon avait tendance à répéter qu'Elsa lui avait tout appris, je suppose qu'il s'agissait des réflexes d'humanité et d'écoute qui n'étaient qu'embryonnaires auparavant dans sa conscience.
Si j'avais envoyé mes poèmes à Elsa, c'est que j'avais pris son Louis au mot, et cinquante ans plus tard je crois carrément qu'Elsa Triolet fut pour Aragon une inspiratrice spirituelle. d'ailleurs dans ''Elsa'' , Aragon écrit : " Je suis sourd à toute plainte qui n’est pas de ta bouche / Je ne comprends des millions de morts que lorsque c’est toi qui gémis" .On dira ce qu'on voudra de son ostentation amoureuse, pour la démystifier, mais les relations humaines sont tellement gangrénées par les malentendus qu'il me parait raisonnable, quand on aime , de se prendre comme un acteur au jeu de son texte. C'est là que la Poésie est créatrice de réalité, et que le réalisme des cyniques se révèle illusion mortifère.
C'est un grand art déjà que de concrétiser l'utopie amoureuse à force de la sublimer de façon flamboyante ,comme la flamme même de la vie qui aide l'espèce à croire en elle même . Mais plus grand art encore est celui de la sagesse du coeur, et à mon avis c'est par là qu'Elsa aida Aragon à devenir le meilleur de lui même . Les deux dans leurs écritures et leurs actions étaient concernés par la souffrance d'autrui,et du moins à l'époque où je les ai connus pas du genre à se défiler par des pirouettes futiles ou des sentences quiétistes.
En dépit de son air sévère, Elsa me semble avoir été le guide de bonté d'Aragon , et comme il le suggère à maintes reprises, elle l'arracha à la tragédie du narcissisme futile qui illusionne tant de poètes et d'artistes . Le talent sans les vertus humaines n'est pas rare, mais il n'est pas convaincant pour les mendiants de dignité élémentaire, ceux dont les souffrances n'intéressent pas la plupart des tribuns. Lorsqu'il parlait de ses oeuvres de jeunesse,Aragon oscillait entre l'amusement et la désolation .Mais voilà, une fois la notoriété atteinte et confirmée, il était clair que les dévôts feraient tout pour trouver du sens à ce qui était fantaisie hasardeuse, aux connotations parfois douteuses. Sans parler des erreurs , comme lorsque Balzac appelle caractères sanscrits , dans ''la peau de chagrin'', ce qui ne saurait en être . Alors n'était-il pas tentant pour l'auteur , qui a connu le mépris avant l'adulation, de chercher lui-même à justifier toutes les étapes de sa vie ? Après tout, l'erreur est humaine ,mais finalement c'est la qualité réelle des êtres au quotidien qui est le plus important .
Ce couple était pour moi un miracle, car il surfait très haut qau dessus du marécage parisien sans perdre son humanité, ce qui n'a pas été toujours le cas d'autres talents et ''génies'' qu'on leur opposait. Evidemment tout dépend des références de chacun, et de son degré d'information et de pratique de la vie.
Oui, j'étais sale, et je ne le savais pas . C'est que j'étais monté dans ce train sans ticket ni bagage , en fin de journée, pour fuir l'ambiance sinistre de Ferdinand mon père géniteur , que j'appelais dans mes poèmes''l'empereur de Chine '',car c'est ainsi que j'imaginais l'incarnation intime du cauchemar despotique, du tyran domestique.Alors dans ces wagons sous la neige j'avais traîné de banquettes malpropres en toilettes dégueulasses, peut être en portais je l'odeur, n'ayant pas eu d'endroit où me doucher avant de débarquer rue de Varenne...
En ces temps là les trains n'étaient pas autant entretenus ni rutilants comme aujourd'hui,mais les dossiers étaient plus confortables pour s'assoupir, et on pouvait ouvrir les fenêtres ... En découvrant pour la première fois ces paysages j'avais probablement semé un peu plus de désordre dans ces cheveux qu'on disait rebelles car ils poussent en tous sens .
Mais pourquoi Elsa m'avait elle trouvé radin ? Ayoyo ! Aoué ! Misère ! Panique ! ... Je n'avais pas un sou en poche ... J'ai supposé à posteriori que c'était suite à sa suggestion de m'emmener manger à la Coupole pour me montrer à quelle table elle avait rencontré son Louis. Lors de nos échanges de lettres avant ma visite impromptue, je n'avais pas osé raconter ma galère familiale, préférant rester discret, tout entier tendu vers l'avenir où m'aimantait leur légende comme un porte bonheur ... C'est comme si j'avais eu l'intuition de la tendance que chacun a de sous -estimer les embarras d'autrui, et de juger selon ses propres projections ( on peut rassembler des tonnes de preuves sur une situation historique ou personnelle au présent, et on dérange, puis avec le temps l'invraissemblable apparait avoir été véridique mais tout le monde s'en fout ).
Il eut été trop compliqué d'expliquer la folie de mon père ...A son égard j'éprouvais en alternance de la terreur et de la pitié .En effet dans ses colères s'étalait la mémoire d'une enfance sordide,et ma mère quoique résignée au mutisme et aux larmes ,avait beaucoup de mal à reconnaître que son mari avait subi souffrance et injustice depuis le début de son existence et que c'était la source de sa folie de persécuté devenu persécuteur. ''Persécuté persécuteur ''c'était dans le registre des ruminations anciennes d'Aragon, j'aurais pu m'expliquer, mais je n'aimais pas me présenter dans le rôle d'une victime, d'un cas social. Pour moi la sortie de la destinée qui m'avait été allouée par ma famille passait par les arts et donc la poésie dans la mesure où je pouvais m'y reconstruire en dehors des conditionnements sociaux ou contre eux.
Et malgré tout , cette année là,en dépit de son mutisme et de ses regards terribles mon père avait quand même signé le contrat de Seghers pour mon premier livre préfacé par Elsa.Ceci dit, l'argent avait été placé sur un compte bloqué et donc je n'y avais pas accès, je n'avais rien en poche, ce n'était pas de la radinerie , et pour ne pas avoir à me justifier, et pour ne pas prolonger hors de Marseille le procès chronique qui me tenait lieu d'éducation, j'avais seulement dit à Aragon et Elsa que plutôt que d'aller à la Coupole, les bars étant synonymes de gaspillage d'un argent que je n'avais pas, pour moi c'était mieux de rester dans leur logis , sous ce toit au bout de leurs escaliers escarpés, rouges.
Parce que là je me sentais bien , et il faisait froid dehors . Près de la fenêtre Elsa me montrait tout en bas un jardin et les flocons de neige devenus rares sous ce ciel gris...j'étais étonné car pour moi la ville m'était toujours apparue comme un royaume maudit de béton, trottoirs,macadam, cages de partout , sauf bien sûr dans les ruines qui subsistaient de la guerre, car il y croissait des herbes dites folles...
Et là dans ce bâtiment, ancien hôtel particulier il y avait quand même de l'espace et de la lumière dès la cour de l'entrée, puis des escaliers qui étaient d'abord larges comme dans un palais, avant de se retrécir pour parvenir au seuil de leur appartement lui même vaste ,du moins en comparaison des pièces étroites où j'avais vécu à Marseille.
Elsa fit sonner une clochette ou un petit gong je ne sais plus et apparut Maria la gouvernante, appellation valorisante pour une employée de maison...Elsa lui demanda de préparer un repas de légumes .Et moi , tellement j'avais été étonné qu'il y eut chez des communistes une servante,je me mis à demander à Aragon et Elsa s'ils avaient été riches depuis toujours ... J'avais besoin de sentir qu'il était possible de surmonter les handicaps sociaux de l'existence, bref je voulais qu'ils me parlent de leurs galères, ça me donnait de l'espoir de me sortir de la mienne un jour .
C'est alors qu'Aragon prit enfin la parole pour évoquer le temps où ils avaient vécu de colliers confectionnés par sa bien aimée . Maintenant c'était lui qui s'était mis à parler . Evidemment, je sus plus tard que leur vie avait été matériellement parfois difficile, mais sur le moment, même fabriquer et vendre des colliers me paraissait relever du luxe. A force de m'enfermer, mon père ne m'avait pas permis de connaître un autre monde que le sien, sauf à travers les livres, explorés à travers la bibliothèque du Lycée Saint Charles et celle d'André et Rosette Remacle.
Et bientôt lorsque nous passâmes à table il n'y avait plus que la fascinante et lentement torrentielle profération d'Aragon, il parlait des temps passés, les temps des douleurs de la guerre et des vertiges loufoques de dada, d'un de ses amis suspendu à un lustre , de ce complice allemand Max Ernst ami malgré la guerre, et d'une femme aristocrate prise au piège de sa soif d'extravagance. Il me semble qu'Aragon a rendu presque tout cela public depuis, donc je ne vais pas répéter ce que j'entendais raconter, ce serait bien plus approximatif , il s'est passé quasiment cinq décennies depuis ce jour.
Peut-être qu'Aragon peaufinait-t-il sans cesse l'évocation de ses souvenirs devant chacun de ses visiteurs, une façon de continuer à écrire en parlant . Mais c'était d'évidence exaltant d'entendre de sa bouche même ,par exemple , comment Breton et lui, à cheval sur un mur de l'hôpital du Val-de-Grâce avaient accouché du surréalisme, et comment il avait rencontré Apollinaire, qui avait inventé le mot, etc, etc ...
Il y avait aussi , au fil de ce monologue, des remarques concernant l'appartement où il vivait, et des contacts qu'il avait avec Pompidou son voisin. Lorsque les journalistes de Marseille se mirent à reprendre les louanges qu'avaient fait Elsa de moi à la radio et à la télévision, ils me présentaient comme la deuxième célébrité du lycée Saint Charles : j'avais été précédé par ce Pompidou, qui y avait été professeur ,avant de devenir banquier puis président de la République ,et auteur d'une anthologie de la poésie . J'étais vraiment étonné de ce rapport de familiarité d'Aragon avec un politicien du bord opposé, sans doute y avait il alors , suite aux péripéties de la Résistance au nazisme,une plus grande capacité de dialogue chez les gens, en comparaison d'aujourd'hui.
Parfois ,j'interrompais le monologue étourdissant d'Aragon, je lui posais une question pour mieux comprendre son propos .Mais il semblait ne rien entendre , statue assise et regardant vers le lointain, seulement animée par le courant majestueux de ses paroles . Il y avait à côté de lui les sourires complices et tendrement résignés d'Elsa qui suggéraient avec malice qu'il ne servait à rien de le distraire ...elle même ne l'aurait pu, même s'il était en train d'écrire un poème où il la portait aux nues, fallait se laisser porter. Je jouissais donc du spectacle, trouvant approprié,raisonnable et salvateur de jouer la vie comme un théâtre, puisqu'elle en présente tellement les caractéristiques.
Je retournais ensuite à Marseille par le train,et suite à une deuxième fugue, je fus hébergé chez mes grands parents maternels, puis pensionnaire en divers lieux scolaires et médicaux ,avant d'emménager avec Elisabeth ,épousée en janvier 1969, dans une chambre que nous louait des descendants de Ségalen sous les toits du boulevard Saint Michel , puis dans un vieux moulin à grains déglingué entouré d'immeubles, tout près du bois de Vincennes. Elsa nous appelait alors ''les amants de Saint Mandé''...
Ma pratique artistique principale était à Paris celle de la danse, il y avait beaucoup de cours gratuits pour les étudiants ici et là . Puis je me fixais presque seulement à ceux Roger Ribes, qui vivait avec son maître Jéròme Andrews, et qui m'avait invité gratuitement même à ses cours payants quotidiens .
Jusqu'au décès d'Elsa je la visitais assez souvent... J'attendais toujours qu'elle m'envoie un télégramme ou ce qu'on appelait un pneumatique , ou une invitation par coursier, et cela arrivait assez souvent car Elsa avait décidé de s'occuper de mon insertion en tant que poète dans la société parisienne ...Elsa semblait ne pas toujours se relire car sa correspondance était généralement constellée de coquilles, mais ce n'étaient pas des messages publics nécessitant un correcteur, c'étaient des messages du coeur .... et non les pages d'un livre dont on corrige les épreuves.
Elle et Aragon orchestraient ma vie publique, soit pour me mettre en contact avec un bureaucrate subventionneur, soit pour que je leur apporte un poème pour les Lettres françaises, ou encore pour me faire participer à une signature de livre. Ou encore simplement pour que j'accompagne Aragon près des rotatives de l'Humanité, ou dans une rencontre avec Georges Marchais alors numéro 1 du parti communiste. Ou pour une rencontre avec Olivier Guichard, un ministre gaulliste, qui après avoir donné du ''maître'' à Aragon, finissait par m'en donner, tellement j'avais été bien présenté ,surtout que j'étais resté silencieux ...
J'approfondissais mon exploration du marécage mondain avec ses hiérarchies hypocrites criblées de rituels plutôt que fondées sur le sens et la communication . Je trouvais dèrisoire l'ambition de vouloir réussir dans cette termitière parisienne .Mais comme , grâce mes protecteurs , j'avançais maintenant du côté chanceux de la barrière, je compris que leur aide , à travers le début de notoriété qu'ils me fabriquaient ,pourrait m'aider à m'évader du mauvais sort citadin . Je veux dire que le bleu du ciel dans la grande cité n'était visible qu'entre des murs d'immeubles, et que l'hiver le froid acculait à une tanière. Je n'étais pas un arriviste social, et je sais que cela leur plaisait . J'étais un arriviste spirituel, et ils étaient des modèles d'éthique dans les circonstances particulières où ils s'étaient implantés.
J'avais l'impression qu'Aragon jouait la comédie humaine tout en la tenant à distance, il savait que sans les circonstances de la guerre où il s'était illustré comme on sait, il n'aurait pas été béatifié à ce point. Il regrettait de façon obsessionnelle des erreurs d'appréciation du temps de l'hypnose stalinienne , bref derrière le masque grandiloquent il me paraissait humble dans un monde peuplé de roquets arrogants . Il témoignait de l' indulgence vis à vis de tout ce qui de ma part pouvait passer pour impolitesse , et qui n´était en fait que maladresses, car je n'étais pas issu du tout du même milieu social , et j'avais une répugnance instinctive pour toute la faune qui le courtisait et me montrait du mépris aussitôt que je n'étais plus avec lui. En ce qui me concerne je ne percevais aucun avenir désirable à Paris.
Mes souvenirs d'enfance à Agadir me faisaient envisager les villes et les hivers nordiques comme comme une sorte de malédiction dont il fallait parvenir à me dégager, et où toute réussite mondaine n'était qu'un pis aller.Certes Paris en mandarin se dit Bali, mais suite à une émission de télévision d'Olivier Maessien sur les rythmiques d'Asie, où j'avais pu voir des danses, c'était l'île Bali un peu au sud de l'Equateur qui était alors devenue pour moi le centre mythique de la planète, et mes protecteurs avaient compris mieux que mes parents que l'avenir qu'ils pouvaient m'aider à construire en valait la peine. Paris ne fut pour moi qu'un lieu de passage, comme l'avaient été Tahiti et Moorea pour Elsa après qu'elle y eut laissé son premier époux Triolet .
Une fois Elsa évoqua un passage d'André Triolet à Paris, avec qui il semblait qu'elle et Aragon avaient gardé des relations d'amitié quoique rares. Elle s'attarda davantage sur les nouvelles ahurissantes qu'elle avait de leur ami Léo Ferré. Son épouse Madeleine, pour se venger de la relation du chanteur avec une jeune rivale, avait fusillé tous les singes qu'il abritait chez eux.
Au coeur des polémiques Aragon paraissait indulgent même pour ses adversaires , qu'on l'attaque sur sa gauche ou sur sa droite. En fait ces catégories ne représentaient pas les mêmes clivages en ces temps là qu'en ce début du 21ème siècle. L'illusionnisme médiatique fonctionnait autrement mais la lucidité d'Aragon et d'Elsa était de placer les vertus humaines au dessus des débats purement théoriques. Je crois me souvenir qu'en souriant Aragon avait répondu en mai 68 devant la Sorbonne, à Cohn Bendit qui l'avait traité de vieux con, si je ne me trompe, qu'effectivement c'était avec les jeunes cons qu'on faisait les vieux cons ...
Une fois je l'interrogeai sur les auteurs qui le sensibilisaient le plus , et à mon grand étonnement il me répondit qu'il s'agissait de Samuel Beckett et de Saint John Perse . Ainsi je partageais avec lui autant la conscience de l'absurdité des moeurs sociales que l'éblouissement des lointains exotiques , en plus de ce besoin de mythifier la femme , de l'idéaliser au point qu'elle soit tentée de ressembler à l'image sublime qu'on répandait d'elle dans nos poèmes ...
Un jour , Aragon me transmit des billets pour une représentation de danses par une troupe vietcong, en pleine guerre du Vietnam . Je lui demandais pourquoi il n'avait pas préféré s'y rendre, il me répondit qu'il n'était pas intéressé par le folklore . Evidemment les cithares vietnamiennes et les danses traditionnelles dans ce spectacle servaient surtout d'emballage à une rhétorique guerrière, il s'agissait par exemple de chanter la chute d'un avion ennemi dont on projetait l'image derrière et au dessus des artistes.
J'admettais que la poésie qui prétend orchestrer le folklore est souvent simplificatrice, ventriloquée par les archétypes aristocratiques ou populaires , l'orchestration de la propagande variant seulement de langue de bois pour imposer des hiérarchies . J'adhérais en outre à la critique caricaturale que faisaient les situationnistes de la société du spectacle , en un temps où leurs textes n'intéressaient pas encore les éditeurs mais où leurs revues colorées se vendaient dans un kiosque du Boulevard saint Michel .
Néammoins la danse m'épanouissait au quotidien en deçà de tout spectacle , alors pourquoi la réduire à la parade, pourquoi jeter les bébés avec l'eau de leur bain, la cantique des cantiques avec l'inquisition , le fou d'Elsa avec le stalinisme , et le folklore avec son instrumentalisation ? Le folklore ouvre un espace d'art total et d'éducation populaire qui est créateur de situations à la mesure des artistes qui s'y engagent, il ne mérite pas la dépréciation systématique. Voilà ce que j'expliquais.
Arriva le jour où Elsa et Aragon me présentèrent Lili Brik . Je me préparais à la questionner sur sa vie quotidienne avec Maiakovski, dont j'appréciais tant l' usage spontané des mots , sans apprêt, cette sincérité sans oeillères comme dans son poème ''La flûte de vertèbres'' où je fus étonné de trouver le nom de Dieu ... moi même avait craint au début que les allusions mystiques de ma poésie et que ma répugnance à m'encarter dans un parti ne mettent mal à l'aise Elsa et Aragon, mais ils avaient balayé mes inquiétudes en me faisant comprendre que ce qui leur importait, c'étaient avant tout les vertus des individus, et que l'engagement évolutif dans le théâtre du monde avait de multiples facettes possibles . Sauf erreur de mémoire , il me semble mème qu'Elsa ne fut jamais encartée au parti communiste, se contentant de défendre des valeurs. Elsa m'affirmait que j'avais le tempérament de Maiakovski, elle alla même plus loin dans la comparaison, sur Radio Luxembourg, c'était certes une projection affective qui me fit du bien quoique ma vie devait évoluer très différemment .
Lili Brik arriva avec son nouveau conjoint, et je fus étonné de la trouver si rayonnante avec ses tresses. En dépit de son âge, il émanait d'elle comme un parfum de jeunesse et de beauté éternelle, je n'avais jamais eu cette impression avec une femme de son âge . La première chose que Lili me dit c'est que le poète Vossnessensky l'avait chargée me saluer et qu'il aurait bien aimé être avec elle pour me rencontrer.
Ensuite elle sortit d'un sac toute une série de cadeaux pour moi. D'abord toute une collection de cuillères de bois peintes en rouge et or, puis des poupées russes qui s'emboîtaient les unes dans les autres, et enfin un jouet qu'il m'arrive encore d'actionner lorsque je passe devant ma bibliothèque où il est suspendu . Il s'agit d'un cercle de bois avec tout autour des figurines de poules peintes, miniaturisées, qui se mettent à picorer frénétiquement le bois lorsqu'on lui fait faire des cercles parallèles au sol, ceci grâce à un mécanisme de ficelles convergeant vers une boule à laquelle on peut insuffler un mouvement de pendule. Lili me dédicaça ensuite une grande photo de Maiakovski .
En fait comme j'étais arrivé avant Lili chez sa soeur Elsa, pour ne pas déranger leurs retrouvailles ,je restais longtemps sans ouvrir la bouche, tout ouïe . Je compris qu'en dépit du culte d'Etat alors rendu à la mémoire de Maiakovski, Lili devait vivre dans la peur de s'exprimer trop librement, même en ce qui concernait la vie de son amoureux d'alors. Elle était notamment en colère, effarée ,parce que dans la présentation de son ancien logis avec Maiakovski transformé en musée par les autorités soviétiques , il y avait eu falsification de leur propre histoire,le rôle joué par Ossip Brik dans leur trio avait été minimisé. Je crus comprendre à ses remarques qu'elle vivait à Moscou dans un appartement bien plus étroit que celui de sa soeur .
''La Russie est une dictature militaire'' martelait Lili avec cet accent russe qui était aussi celui de sa soeur, et elle évoquait le sort tragique de conjoints successifs, à cause de cette dictature. Il était paradoxal de voir ces propos obsessionnellement repris par mes protecteurs communistes, vu qu'Aragon était traité de crapule stalinienne par des artistes libertaires (qui ne décelaient pas de penchants despotiques chez Sade dont ils vénéraient les oeuvres).
Tout aussi paradoxalement j'entendis plus tard un ministre de droite m'affirmer à sa table , que rien ne pourrait enrayer l'avancée du communisme, c'était le progrés et le sens de l'Histoire. Devant une toile de Picasso, le mème politicien s'imaginait aussi que Guyotat et Sollers (c'était l'époque du Tel Quel marxiste léniniste) étaient les prophètes incontournables de l'intelligence française présente. En fait , si j'étais à cette table, c'est que l'épouse de ce ministre était une abonnée des cours de mon maître Roger Ribes, elle m'avait invité pour la projection d'un film où je dansais, film super 8 réalisé par son mari et dont je n'eus jamais la copie.
Aragon , à cette époque , prenait la défense des dissidents chrétiens Siniavski et Daniel lors des procès post staliniens qui leur était faits. En fait , même si à l'occasion de cette affaire il s'était opposé sans discrétion aux subventionneurs russes qui facilitaient la parution de son journal Les Lettres Françaises, Aragon me signala que cela faisait longtemps qu'à l'intérieur du parti, il critiquait les méthodes totalitaires. Il y avait eu l'affaire du portrait de Staline par Picasso, et Elsa, informée par sa soeur, avait été consciente de ces dérives totalitaires bien avant d'écrire ''Le Monument'' .
Aragon me raconta comment un de ses anciens secrétaires avait rédigé un rapport sur tout le mal que le poète propageait en aparté sur les tyrannies pseudocommunistes, mais que Maurice Thorez, alors chef du parti communiste français, avait déchiré ces papiers devant lui , en lui disant qu'il était normal qu'il puisse s'exprimer librement , c'était dans le sens d'une évolution nécessaire, qui serait compromise s'il s'attaquait publiquement au parti lui même, et qu' Aragon était membre du comité central pour justement contrecarrer l'étroitesse d'esprit ambiante.
Aragon m'expliqua avoir préféré depuis longtemps manoeuvrer dans l'ombre mais avec succès à la libération de dissidents, en tentant de persuader des dirigeants de l'Est de la mauvaise publicité qu'ils se faisaient en s'entêtant dans leurs pulsions tyranniques, en leur expliquant aussi à quel point ils nuisaient aux progrés des autres communistes en les faisant passer pour des épouvantails à leur image. Il me racontait tout cela en me donnant des noms dont je ne me souviens plus.
D'ailleurs lorsqu'on me fit plus tard rencontrer le fils de Maurice Thorez, celui ci ne me parut pas porter les stigmates d'une éducation stalinienne indélébile mais plutôt cette aspiration à la vigilance antitotalitaire. Ainsi que d'autres communistes , il semblait tout à fait critique à l'égard des dérives des puissants dans le bloc de l'Est... Le pouvoir a tendance à corrompre les âmes quelle que soit l'idéologie dont il se travestit. La qualité humaine est le principal, elle s'exprimera différemment selon le milieu où on évolue. Un gauchiste haineux est mûr pour se transformer en fasciste, et de même un dévôt opportuniste et mielleux d' évangiles identitaires. Bakounine lui même avait fait remarquer qu'un anarchiste pouvait se muer en tyran s'il se trouvait en position de l'être.
La dérive de l'intolérance affecte à des degrés divers la plupart des individus accédant à un pouvoir même dérisoire, même dans des ashrams, à Auroville, dans des groupes folkloriques, ou des départements universitaires. Bien sûr, cela a moins de conséquences dans des coopératives autogérées que dans les hiérarchies des Etats, où l'éclat hypnotique de la puissance , l'impunité aidant, fait à l'occasion passer les victimes pour coupables et les coupables pour victimes avec de plus graves conséquences ...
En fait toute hiérarchie, lorsqu'elle se sent menacée dans ses intérêts,a tendance à neutraliser les valeurs qu'elle prétend défendre ,et ce qui est écrit dans les constitutions a tendance à être contourné sans que la majorité des citoyens ne s'en rendent compte s'ils ne sont pas eux même pris comme boucs émissaires. Les gouvernements sont des as de la mise en scène, voilà ce qui avait illusionné les invités du gouvernement soviétique , dont avait fait partie Aragon plus jeune. De même pour bien des intellectuels actuels les violations des droits de l'homme dans l'Europe de ce début du XXI ème siècle relèvent de la victimisation et de l'imaginaire, tant qu'ils ne les subissent pas et restent conditionnés par l'hypnose médiatique dominante .
Les francophones déjà majoritairement africains pourront ils oublier à quel points le pillage de l'Afrique et les drames de Lampudesa auront été traités comme des extrapolations hors sujet dans les mascarades parisiennes sur les droits de l'homme ? Parmi la foule des poètes de ce temps à qui ces propos sembleront excessifs il n'y aura pas de mal à déceler , si on n'a pas effacé leurs traces, lesquels ont pris l'écoute de l'humanité harassée. Elsa et Aragon furent de ceux là en leur temps, au risque de digressions dérangeantes par rapport aux attentes de leurs contemporains confondant quiétisme et conscience en paix .
Elsa et Aragon craignaient qu'on efface ou dénature les traces de leur combat. Cela me semblait impossible, tant leur prestige semblait faire l'unanimité à la sortie de la deuxième guerre mondiale . Je n'avais pas assez vécu pour mesurer l'ampleur des désinformations programmées, quoique mon père m'y ait fait allusion c'était d'ailleurs l 'exposé de toutes les injustices par lui subies qu'il ressassait pour me convertir à son désespoir comme à une fatalité à laquelle on devait se résigner pour survivre.
Mon père connaissait le contexte de la France africaine pas complètement libre, sur lequel Sembene Ousmane a fait un film , narrant un massacre de tirailleurs sénégalais par des officiers restés planqués en Afrique , et qui reluquaient leur solde à leur retour. Lorsque les fascistes déguisés cherchèrent à désigner un meneur, ils avaient trouvé naturel de le reconnaître dans le tirailleur qui voyageait avec un livre d'Aragon, icône pour eux de la subversion.
Le chanteur Guy Béart était l'animateur d' une émission de télévision de grande audience, il voulut une fois que son émission soit centrée autour d'Aragon et d'Elsa Triolet, et ceux ci m'invitèrent à les accompagner.
On me demanda de lire des poèmes, mais aussi de me sentir libre de m'exprimer librement, et je ne soupçonnais pas d'embûches. Je fus spontané , et peut être sans m'en rendre compte ai-je été conduit à des questions embarrassantes voire choquantes pour Elsa et Aragon... en tout cas je n'étais pas mal intentionné ...je ne connaissais pas les usages du milieu, puisqu'on m'incitait à me sentir libre. Peut être y avait il un accord là dessus entre Guy Béart et ses employeurs d'une part, et Guy Béart et ses invités d'autre part ,sur le fait qu'Il ne fallait pas parler de politique dans cette émission, mais en fait je ne voulais pas parler de politique partisane ou politicienne, bref il y avait des tabous pas explicites.
On a pu soupçonner dans mes propos des insinuations qui n'y étaient pas , et on a pu croire que je dénigrais mes interloculeurs là où en fait je voulais leur tendre une perche pour qu'ils s'expriment comme ils le faisaient en privé , mais évidemment je n'imaginais pas encore que tout ce qui est subtil et nuancé n'atteint pas les oreilles caricaturales . Bref en cette occasion comme en bien d'autres occasions publiques à Paris , j'ai eu l'impression de m'enliser dans les malentendus.
Je lus un poème écrit pendant ma deuxième fugue , qui m'avait mené à Grasse, et un autre écrit dans la cave que mes grands parents m'avaient accordé lorsqu'ils m'accueillirent aprés cette deuxième fugue .
''Ce n'est pas facile d'être jeune '', affirma Elsa dans cette émission '' car on n'a pas encore appris tellement de choses'',avait elle dit cela pour moi, comme s'ils voulaient amortir le décalage entre ma sensibilité à fleur de peau et l'ambiance bourgeoise des figurants issus d'un milieu où on ne met pas les pieds dans le plat ? Peut être je projette de façon abusive ...je pris également pour une façon de me mettre à l'aise la référence d'Aragon à la têtée lorsqu'il reconnaissait que jeune on ne connaissait rien d'autre.
Et ,disait-il aussi , lorsque les surréalistes étaient jeunes, ils étaient pris pour des fumistes, et Rimbaud n'était rien pour personne, sauf pour un tout petit nombre de gens. A ma surprise , Aragon semblait en public encore valoriser ses copains Dada et surréalistes, alors qu'en privé j'avais l'impression qu'il ne prenait pas très au sérieux ses insolences d'alors et celles de ses compagnons . J'avais plutòt l'impression qu'il en jubilait en privé à cause de la cocasserie qui s'en dégageait , sans réelle nostalgie pour toute la vie déréglée dont l'avait relevé Elsa .
Lors de cette émission ''Bienvenue'' animée par Guy Béart , les questions des invités portèrent alors sur l'amour, la politique et la place de la femme dans leur couple .Aragon confia qu'en l'absence d'Elsa, il aurait l'impression d'affronter un récif sans phare. L'amour apparaissait à ce couple comme le principal des repères. L'amour conçu bien évidemment dans la bonté et non réduit aux fantasmes ou à une antidote à la solitude .Enfin Aragon affirma explicitement que la politique lui paraissait secondaire par rapport à l'amour.
Lorsqu'on demanda à Elsa à quoi elle croyait , elle répondit que c'était à la bonté inconsciente , spontanée. Non pas celle où on se raisonne pour dire 'je vais être bon", ou "je suis bon", mais celle qui s'exprime à l'état de réflexe.
J'avais été vraiment perplexe de lire " il n'y a pas d'amour heureux" que je leur demandai ce que cela avait signifié pour eux. Les relations entre la femme et l'homme seraient -elles si compliquées , même à leur niveau ? La réponse : " l'amour ne peut se contenter de son propre bonheur... il y avait beaucoup de malheur tout autour, cela n'empêchait pas l'amour entre nous , mais la vie continue ... lorsque les évènements extérieurs sont d'un certain poids, ils se reflètent dans la poésie ". Comme il est difficile de percevoir ce poids des chantages historiques autrement qu'en théorie, sans les suggestions diaboliques qu'ils tentent de répandre dans le subconscient et les nerfs ...
Quelqu'un demanda à Elsa si son rôle d'écrivain l'avait aidée en tant que femme. Celle-ci répondit : " Une femme disponible est une femme faible,de sorte que je n'ai pas connu les misères de femme, je me suis choisie pour juge ". A un autre moment , elle avance une idée qui lui était familière dans nos conversations , à savoir que les poètes pressentent l'inconnaissable, ce qui n'est pas pénétrable par la science, et qu'ils l'expriment. Je dirai mème que l'art est porteur des virtualités de l'espèce, de ses évolutions et de ses régressions selon les artistes, mème quand leur style les rapproche.
Aragon avait jadis écrit " le monde à bas , je le bâtis plus beau ! ". Une phrase qui pour moi résumait le sens de l'initiative artistique : refuser l'ambiance zombie et se construire dans l'espérance , que ce soit par la révolte ou des choix de vie fertiles , comme dans un poème d'amour ou une danse. Alors voilà que je demandai à Aragon de faire le bilan de cette annonce, pensant qu'il allait répondre comme je l'aurais fait, à savoir que la poésie tisse des bulles d'utopie éventuellement contagieuses. Mais non ,et j'ai eu alors l'impression, peut-être à tort qu'il a cru que je lui reprochais de ne pas avoir été à la hauteur, car il répondit qu'il est toujours possible de faire plus beau que nature, voire plus laid, mais qu'il ne s'étonnait pas de n'avoir pu relever un tel défi concernant le monde ! A mes yeux il l'avait tout de même réalisé ce programme d'un monde plus beau ,à l'échelle de leur couple , au point qu'il devienne mythique.
Aragon ajouta que quand on est jeune on n'est pas modeste, et qu'ensuite on réduit ses ambitions à ce que l'on a pu faire ... "changer l'homme c'est ambitieux ... j'ai toute ma vie bataillé pour la liberté des écrivains, donc la liberté politique ... " , et il estimait que ce serait déjà beaucoup s'il laissait la trace d'une simple tendance d'esprit, si on se souvenait un jour qu'un homme comme lui n'a pas aimé certaines choses ... .A ce stade de son existence , il avait alors l'âge que j'ai presque atteint aujourd'hui.
Dans cette émission on me demanda quels étaient les poètes que j'aimais le plus lire ... je répondis Michaux , Artaud, Duprey ... et la moitié d'Aragon . Cela manquait il de tact ? En tous cas mes protecteurs ne m'en tinrent pas rigueur, je crois que leur fibre maternelle et paternelle pouvait même comprendre cela , même si en public ils me vouvoyaient tandis qu'ils me tutoyaient en privé ou en m'écrivant .
Eh oui, ce que je préférais dans les écritures d'Aragon, c'étaient ses poèmes à Elsa, je les prenais au mot et m'en imbibais comme de recettes d'amour et en connaissais des strophes par coeur. C'était à mon avis la part de son oeuvre qui avait fait de leur couple un mythe agissant sur les consciences, un modèle à suivre. Certes l'idolâtrie des sublimations amoureuses se dévoile souvent illusoire, mais elle exprime un degré d'aspiration sincère qui ouvre une voie aux consciences.
Puis c'est par l'entremise d'Elsa qu'Aragon semblait avoir ouvert son coeur à l'humble camaraderie humaine des hommes de bonne volonté, en dépassant le narcissisme débridé et son illusionnisme , fut-il de style surréaliste .Et puis , il y avait eu l'audace de ces regrets publics d'avoir été un temps hypnotisé par les paillettes de l'arrogance idéologique et de la langue de bois exaltée ... Le cléricalisme a réponse à tout, à cause d'un esprit de système virtuose. Mais quel progrès pour la science, l'art, la spiritualité, que de s'avouer vulnérable à l'erreur, semblablement aux autres hommes, ne serait-ce que pour nous inciter à savoir perdre la face pour nous reconstruire.
La sincérité d'Elsa apparait nettement dans ses livres ,ce fut de rester un témoin des signes extérieurs d'inquisition même lorsqu'ils ne concernaient plus que des minorités et que la bête immonde semblait vaincue, par exemple après la libération. Les indignations elles mêmes sont en effet tellement sujettes à la mode des Ponce Pilate ... il suffit de changer le mot camp de concentration en camp de rétention, et voilà que l'éthique semble sauvée et que les révolutionnaires ou les humanistes se comportent comme des féodaux insensibles ,mème sous la bannière du socialisme, ou celle des libertés et des droits de l'homme. L'imposture des mots visibles trahis par les actes invisibles pousse alors les victimes à avouer des actes qu'ils n'ont pas commis, à avoir honte de leur déchéance, voire à s'automutiler pour donner une forme visible à l'angoisse où ils doivent suffoquer.
La leçon d'Elsa et d'Aragon fut aussi de m'aider à percevoir qu'à travers le théâtre mensonger du monde, la fiction voire le mythe pouvaient accoucher de véridicité et de lucidité. Alors que bien des capitulations devant la tricherie sociale se déguisent en victoires de la sagesse , il peut subsister,sous les allures de l'adaptation au théâtre mondain, surtout lorsqu'on y est déjà intégré, la possibilité d'être un acteur de son dynamitage progressif . Ainsi peut-on un peu, peut-être,au coeur même des sphères de décision, contribuer à renverser progressivement les hiérarchies de la conscience humaine . Une façon d'éviter la crucifixion par une forme de théâtre quotidien assumé avec distanciation.
Je me suis limité ici à ne parler que d'Aragon et Elsa et de moi même à leur rencontre, mais lors de cette émission et à bien d'autres occasions je fus en contact avec toute une variété de caractères humains, et je ne pus que constater que le Paris des artistes et des littérateurs était le plus souvent une lamentable mascarade de mesquinerie, de snobisme , de caprice et de vanité et je n'eus ensuite jamais le regret de m'en éloigner , au lieu d'y faire fructifier les opportunités que mes deux protecteurs m'avaient rendu accessibles. Je raconterai ailleurs ce que j'ai observé ou vécu dans cette faune. Il y avait presque seulement Catherine Ribeiro dont l'authenticité et les qualités tranchaient positivement avec le contexte des arrivistes . Bien sûr l'être humain n'est pas souvent plus reluisant aiilleurs, je l'ai vu ensuite, mais avec moins de tapage , il existe dans la nature des îlôts de bonté et de responsabilité humaines revigorantes comme le grand air, même s'ils ne sont pas affichés comme tels par ceux qui les entourent.
A Paris, Elsa et Aragon m'ont paru comme d'atypiques survivants de l'humanité, assumant par fatalité un rôle de pédagogue au coeur de cette faune tourbillonnante et superficielle qui réduisait le monde à ses projections virtuelles . Car le jeu des égos animaux produit en permanence des malentendus, dès qu'on ne se contente pas de s'illustrer dans les conventions . Bougainville ne racontait il pas qu'une fois de retour à Paris, il y rencontrait des savants qui pensaient pouvoir témoigner de Tahiti mieux que lui, quoiqu'ils n'aient fait que lire son récit ...
En toute contrée il y a des survivants de l'humanité,parfois presqu'anonymes, et qui sont aussi de vrais maîtres pétris de vertus malgré leurs limites, tandis qu'une foule d' héritiers supposés défigure la signification des héritages culturels et autres, qui deviennent des faire-valoir , des chasses gardées et non plus des semences d'évolution spirituelle et sociale pour l'espèce humaine . Mes protecteurs avaient compris que la superficialité aimante, mais qu'elle peut devenir une invitation à approfondir, et pour sauver l'optimisme , ils modéraient de façon réaliste leurs espoirs dans les capacités de l'humanité à mettre en oeuvre les idéaux qu'elle grave en lettres d'or sur ses étendards.
Les royalties que j'avais finalement encaissées à ma majorité légale furent aussitôt destinées à l'organisation de ma vie future qui était prévue désormais pour Bali , où je partis en 1970 pour quelques mois afin d'étudier la danse . Je n'en revins qu'avec le plan de mieux m'organiser pour y retourner. A la descente de l'avion du retour, je m'étais précipité au cours de Roger Ribes avec un xylophone de joget bungbung en guise de cadeau, avant même d'aller me reposer du voyage dans la bicoque louée à Saint Mandé, un ancien grenier à grain qui avait survécu cerné d'immeubles.
Le temps vint où, pour gravir les ultimes escaliers plutôt abrupts menant à leur demeure , Aragon fit installer pour Elsa un siège à la place de la rampe, un siège avec un moteur pour la hisser mécaniquement jusqu'à la porte ... là je fus glacé d'effroi ... Elsa parlait pourtant de la mort prochaine avec sérénité, comme d'un chapitre de roman ... le rossignol chante avant de mourir ...j'étais encore bien jeune et cette déchéance physique d'Elsa me plongeait dans une tristesse profonde, comme si ce sort allait être le mien un jour, je ne pouvais pas encore voir comment la soi disant mort pouvait être une victoire de la vie ... A chaque visite Aragon m'offrait des livres , notamment les éditions grand format de ceux qui portaient le nom d'Elsa, et leur légende était pour moi un modèle d'autant plus que le couple de mes parents était désaccordé et que j'aspirais à une harmonie durable dans ma vie de couple.
Comment, de toutes façons , ne pas célébrer cette obsession de vouloir croire à l'amour et au progrés de l'humanité qui peut s'en inspirer, en dépit de toutes les limites humaines qui pourraient nous rendre sceptiques ? N'en suis je pas encore à 64 ans à danser mon Théâtron de sorte à prendre mes distances avec les règles du jeu de la termitière tout en cultivant des reflexes capables de concrétiser l'utopie ,au moins dans ma sphère personnelle de liberté . Celui qui capitule pour avoir la paix est mieux dévoré que celui qui ruse avec les puissances prédatrices, et extirpe de lui même leurs instincts tenaces .Par une concentration des cinq sens articulée au mental, le théàtre catalytique est une méthode pour exorciser les sequelles des terribles épreuves de la vie, imposées par le réalisme de l'identité prédatrice de l'espèce humaine au stade primitif actuel ... le rêve peut chroniquement ensemencer la vie quotidienne.
Dans ''La Lumière de Stendhal'', dont Aragon m'avait offert un exemplaire ,j'avais lu , à propos de ''Sisyphe et la Mort'' de Robert Merle: ''Ce sont les notables qui font alliance avec la Mort, pour dompter la plèbe, le maintien de leurs privilèges exigeant le maintien de la Mort dans le monde''. A cette constatation fit plus tard écho pour moi le vers d'Aurobindo traduit par Mira Alfassa : ''Dans la région de la Mort rapatrier l'immortalité''( Savitri, livre X, chant III). Pour moi , aujourd'hui, la vraie vie est dans l'âme, les corps s'ils n'assument pas son rayonnement, sont des fantômes .
Depuis que j'ai vécu dans le théâtre balinais , je le sais plus proche de celui de La Fontaine que des cris de Duprey et des sophismes d'Artaud. Je reste sensible au merveilleux normal de Michaux pour consoler son Plume, mais les chants de Rumi m'y recentrent de façon plus définitive. Mais quoi de plus précieux , pour ne pas avoir à renoncer à l'évolution de l'espèce que d'avoir encore accès à des consciences comme celles d' Elsa et Aragon qui , avec moins de sectarisme que Gandhi, nous rappellent de ce que les injustices subies par quelques uns sont des atteintes à la bonne ambiance de vie pour tous.
Arriva un télégramme , car je n'avais pas le téléphone, pour annoncer le décès d'Elsa. Elisabeth était absente de Paris .Aragon me demandait de venir immédiatement , ce que je fis . Il me fit alors monter dans sa voiture, s'assit devant à côté de son chauffeur et nous partîmes tous trois vers la maison de campagne à Saint Arnoult , où Elsa allait être enterrée. Il n'y avait aucune distance protocolaire entre Aragon et son chauffeur, qui semblait lui même assumer son rôle dans une famille communiste. La campagne avait des éclats jaunes , avec des champs inondés d'épis, alternant avec la verdure, et au delà de la grille du moulin de Villeneuve, il y avait un couple de serviteurs qui nous préparèrent une boisson chaude, avant qu'Aragon ne leur donne congé ainsi qu'au chauffeur..
Je restais seul avec Aragon dans cette propriété, il se gardait serein quoique triste, mais une tristesse sublimée par la légende qu'il avait su créer autour de sa vie avec Elsa, et où leur existence astrale se poursuivait... il me montra dans le parc où il avait prévu qu'ils soient tous deux enterrés , il évoqua les moments passés dans la barque avec elle dans le petit bassin de l'ancien moulin. Après la promenade il me proposa de prendre une douche et d'aller m'allonger sur un lit, le temps qu'arrivent les invités .
Je ne peux dire qui furent les premiers arrivés , car il me laissa dans la maison pour les accueillir dehors. Je restais dans un fauteuil à l'intérieur pour ne pas paraître importun en me mettant en avant, en allant rejoindre ses amis en mème temps que lui . Seule une jeune femme noire pénétra dans la pièce pour s'asseoir en face de moi . c'était une danseuse américaine que j'avais vu sur la scène duspectacle '' le regard du sourd'' auquel m'avait emmené Edmonde Charles Roux...
J'étais ravi de la présence de la présence de cette jeune femme noire, tellement dans le milieu de la danse je me sentais plus à l'aise, en toute simplicité, que dans le milieu des littérateurs, des peintres et des musiciens ... sans doute parce que la pédagogie de Roger avait commencé par faire mettre nus tous ses éleves , chacun les yeux bandés à son tour pendant que les autres les faisaient bouger en soulevant leurs membres comme on joue avec un chaton ... Combien au contraire je me sentais en porte à faux avec les égos d'artistes mondains qui généralement considéraient la danse comme un art mineur ou une sorte de défoulement , et qui ,indulgents envers les plus ineptes de leurs postures contracturées, étaient d'une intransigeance fanatique pour évaluer la qualité des danseurs.
Pour moi le théâtre dansé était l'art qui les englobait tous et même donnait une respiration, une direction évolutive à la vie, un art tellement exigeant qu'il rendait modeste . De là la communication et la complicité m'étaient plus faciles avec ceux qui avaient pris l'habitude de s'entraîner tous les jours presque nus, à construire par la danse une harmonie dans leur corps, leur âme et les situations , sans médisances, dans l'Ecoute , l'humilité ...
Lorqu'elle n'est pas juste une façon de s'intégrer à une cuistrerie de ballettomane, la danse est un art gratifiant qui fournit la récompense de nos efforts par la félicité de l'harmonie que l'on construit soi même. Le danseur sait d'où il danse mieux que le public, tandis que la plupart des autres artistes sont comme des papillons obsédés par se faire remarquer par le chat qui va les abattre d'un coup de griffe. Bien sûr tous les arts peuvent ètre des outils de résistance à l'anthropophagie , et la danse a été souvent un outil de prostitution, mais elle peut aider à se recentrer et à relativiser tout envol ... A l'époque elle était une écriture sur le sable, alors qu'avec la démocratisation de la vidéo, elle ne l'est désormais pas moins que la ronde des mots...
Je restais longtemps seul face à cette jeune actrice danseuse dans la connivence d' une sérénité yoguique, pleine de retenue car les circonstances ne se prêtaient pas à une tentative de rapprochement, et pourtant je sentais que nos présences silencieuses et les quelques mots prononcés irradiaient la vie comme il fallait en ces circonstances, avec la bénédiction d'Elsa et de son Louis ... je sentais comme le regard content d'Elsa venir flotter près de nous puis ressortir car y avait de plus en plus de monde devant la maison, avec beaucoup de conversations qui s'apaisèrent lorsqu'une voix forte avec un accent latino généreux commença en français un discours qui était comme chargé de fruits ... c'était Pablo Neruda ...
Cette voix forçait l'écoute tant elle me paraissait porteuse de vie , en net contraste avec celle de la plupart des écrivains même célèbres que j'avais croisés ici ou là... Les grands artistes, de mon point de vue et c'est ce que furent Elsa et Aragon dans cette banlieue aride du monde qu'avait commencé à devenir Paris ,ce sont des êtres qui sèment de la vie et transforment les murs en légendes même après leur mort ,y compris lorsque tout leur environnement est en ruine ... leurs oeuvres sont comme les miettes d'une trajectoire solaire pour réveiller l'espèce humaine de sa torpeur ...
Bien sûr ces miettes seront trouvées géniales ou dérisoires selon l'écoute de l'époque , mais elles montrent le chemin de l'évolution de la conscience créatrice, même si elles sont issues d'un corps de bête humaine avec ses limites... L'inspiration poétique ouvre des fenêtres aux consciences prisonnières du temps et de l'espace, voire des sorties pour s'évader des limites. Je ne suis pas de ceux qui conteste aux millions de poètes le fait d'en être, je constate seulement que sont très rares ceux qui brûlent tout dans le feu du Phénix, et que cela arrive davantage à des danseurs anonymes et quelques fois à des poètes célèbres, qui alors donnent leurs chances aux aspirants artistes. Il y a beaucoup de poètes et d'artistes, mais combien d'humains capables de comprendre les injustices et les souffrances infligées aux exclus du Système ? Or participer à la création du monde, c'est une responsabilité au moins culturelle, et non juste faire la preuve qu'on s'intègre aux hiérarchies de la mode d'un temps et d'un lieu.
Il y eut ensuite le déplacement prés de la pierre tombale , et avec mon âme j'avais l'impression d'accompagner l' âme d' Elsa, que je ne pouvais identifier avec ce corps sans vie. Elle me paraissait présente par sa bonté dans le rayonnement Divin de la vie sur cette planète... Vu qu'au nom des religions la bête humaine n'a cessé pendant des millénaires de promouvoir ses préjugés ,ses aveuglements, sa surdité, je ne trouvais pas étonnant que les vertus Divines aient pu rayonner davantage à partir du couple Elsa Aragon et de deux autres couples communistes qui m'avaient pris sous leur protection, celui de Rosette et André Remacle et celui de Charles et Nicole Martin, également d'anciens résistants, quoique moins connus .Lorsqu'Elsa avait dit croire avant tout à la bonté , je crois qu'elle avait fourni la définition même de ce qu'est Dieu pour moi aujourd'hui, á savoir l' Amour créateur de vie, et qui reste un espace de connivence entre les âmes en dépit de la mort des corps. Dans son roman ''l'Ame'', qu'elle m'avait offert avec la dédicace ''A Dominique, pour qu'il dise l'âme de demain'' voici ce qu'avait écrit Elsa :
''Nathalie frissonna dans son fauteuil . Les voilà qu'ils parlent de Dieu ! Un comble . Quand les hommes se mettent ensemble après diner, pour, enfin, pouvoir être à leur aise ... Christo était un homme . Et cette fumée ! Ce soir, la défense de fumer ne jouait pas , Nathalie ne pouvait pas les ennuyer si gravement. Elle avait mal aux yeux et à la tête. Tout venait de ce qu'elle était assise trop loin et ne pouvait se déplacer , simplement une question de sièges poussés près des murs et , elle, restée au milieu ... Nathalie eut l'impression d'appartenir à l'âge de pierre, le monde s'éloignait, elle n'en percevait déjà plus que les feux arrière, à peine. Incapable de soutenir une conversation, même avec un enfant. Tous ses concepts de primaire dépassés , physique, chimie, arithmétique, disparaissant à l'horizon ... Et le concept chancelant de Dieu allait peut-être reprendre son équilibre sur une base différente, avec un nom différent . Question de terminologie. // Elle ne les écoutait plus . Elle s'écoutait... Quelque chose d'encore jamais éprouvé ... la sensation d'être arrivée à la limite de sa vie.''
Puis les invités quittèrent Saint Arnoult, et l'américaine partit avec une des célébrités présentes dans la voiture qui l'avait amenée . Je restais seul avec Aragon,et il me dit : ''Il faut absolument que tu lises Peter Ibbetson, je vais te chercher ce livre''. Je le vis scruter pas mal de temps ses étagères de livres, même dans les rayons en altitude. Ce bouquin, me disait il ,avait été tellement important pour lui, mais il ne le retrouva pas.... Il revint alors avec un jeu d'épreuves de ''Matisse, roman'' ... Matisse était de loin mon peintre préféré ,dont j'ai d'ailleurs copié à ma façon , pour m'entraîner, pas mal de toiles dans mes carnets sous d'esquisses annotées que j'ai publiées sur le net, en marge des photos de mes propres peintures sur toile. Son jeu avec les couleurs m'a toujours inspiré, même davantage que celui de Kandinsky, Gauguin et Miro .
Aragon me fit s'asseoir à côté de lui devant une longue table de bois et se mit à me lire lentement son ouvrage tout en le corrigeant, et en me montrant les illustrations au fur et à mesure . Voilà comment nous passâmes le temps jusqu'au soir. Il me suggéra de passer la nuit dans une chambre et de repartir avec lui le lendemain matin . Puis je le vis se mettre à se raser . J'étais étonné qu'il se rase le soir, et il me répondit : '' Toi tu ne ne te rases pas le soir pour avoir la peau douce avant de te coucher avec Elisabeth ?'' A vrai dire, répondis je ,personnellement je fais rarement l'amour la nuit , pour moi c'est plutòt une activité du jour ... Devant ma réaction, Aragon poursuivit : ''Maintenant Elsa n'est plus là mais je continue comme si elle était là ''.
Au fil des questions qu'il me posa ensuite , il apprit que j'avais un entraînement de danse le lendemain matin , avec mon ami d'alors Zia Mirabdolbaghi qui en même temps s'entraînait au dombak , ou zarb, et avec qui je partageais des projets d'art plastique . Je ne ratais jamais aucune des occasions d'entraînement avec autrui ni même un cours, y compris quand j'étais malade, car c'ètait dans cette nouvelle nature que je me délivrais de mon karma héréditaire ,par une poésie totale de la vie sur tous les plans de la perception, pour y refondre mes hérédités .Je n'avais pas trop envie de dormir au Moulin, je ressentais cette nuit là venir une sort de froidure métallique . Après que je lui aie confié ces impressions, Aragon me proposa de téléphoner à son chauffeur pour lui demander s'il pouvait venir nous chercher , puis dès son arrivée nous retournâmes tous trois à Paris où nous nous séparâmes.
Apres le décès d'Elsa, je ne reçus plus de message pour passer d'urgence la visiter, aussi il se passa quelques temps sans que je revoie Aragon. Puis un jour, alors que je sortais du cours de ballet contemporain de Rober Ribes , rue du Bac, voilà que je me retrouve sur le trottoir nez à nez avec lui. Joyeux, il me fait la bise et me sort : '' Alors pourquoi tu ne viens plus me voir ?'' . En fait c'était parce que je n'étais jamais allé chez Elsa sans avoir reçu une invitation, donc je ne me voyais pas imposer ma présence de façon impromptue, vu que je n'avais reçu aucune invitation.
En règle générale , je ne me souciais jamais de ma tenue vestimentaire ou plutôt je me promenais le plus souvent dans un habit orange qui avait l'avantage de permettre une mobilité complète de mes membres, c'était un vêtement d'une seule pièce qui avait toutes les qualités d'un collant , je me promenais dans cet accoutrement du fait que j'allais toujours d'un entraînement de danse à un autre, y ajoutant seulement un pull si le temps était trop frais, et en salle, s'il faisait trop chaud, je me déshabillais pour ne garder qu'un maillot de bains .
Je ne changeais jamais de cet habit orange, je le lavais et le faisais sécher à ma fenêtre ou au dessus du chauffage, c'était rapide car il était léger. La coupe de ce costume était ample pour danser en tous lieux, par exemple au bois de Vincennes mais aussi en toute circonstances urbaines . J'avais compris que la possibilité de réaliser mes rêves dépendait de mon aptitude à m'épanouir dans l'ascèse, ainsi je n'aurai pas à prostituer mon temps , je survivrai avec le budget minimal qui était le seul que je puisse espérer en restant libre . J'avais l'impression de ne pas avoir besoin d'habits particulier pour plaire, à cette époque là il n'y avait quasiment que des femmes dans les cours de danse, et je me sentais apprécié sans avoir faire d'efforts , et certain qu'il serait vain de plaire à ceux qui étaient branchés sur les fringues de ville, et pour moi s'il fallait m'habiller élégamment ce ne pouvait être qu'avec un costume de scène, pour danser.
Ce que je voyais ce jour là , c'est qu'Aragon déambulait dans un costume de ville très chic de couleur crème, avec une écharpe, ce n'était pas du tout le genre d'accoutrement que je lui connaissais jusqu'alors. Et lui dut remarquer que mon habit orange était usé , délavé avec des petites déchirures , car il me fit : ''. Tu dois être bien fauché , je suppose, pour ètre si mal habillé'' . Sa coquetterie s'était décuplée depuis le décès d'Elsa, et j'avais entendu plus d'un bruit sur sa transformation, et sur ses penchants homosexuels dont j'avais imaginé qu'ils avaient été seulement ceux de sa jeunesse, avant Elsa. Je me mis à redouter que l'affection réciproque qui s'était exprimée avec distance entre nous ne s'exprime désormais d'une façon embarrassante, car seul le charme féminin m'exaltait physiquement.
Il m'était arrivé de me décider à céder aux avances d'amis homosexuels ou bisexuels ,notamment mon maître de danse, tellement ils étaient attentionnés et serviables à mon égard, et tellement ils semblaient frustrés de ma distance, mais à peine ils commençaient à frôler mon corps, j'étais pris d'un profond malaise , comme le mal de mer .Alors il m'était impossible de me forcer. Contrairement à un préjugé alors très répandu, tous les danseurs mâles n'étaient pas ''gays'', je ne fus jamais attiré par les hommes .Même les femmes me paraissaient généralement trop masculines , j'avais besoin de ce que l'on appelle en yoga tantrique l'ojas de la femme danseuse, c'est à dire ce rayonnement ultra féminin créé par leur ondulation magnétique. Dès mes premiers cours de danse à Bali en 1971 Nyoman Djayus m'avait expliqué comment alterner en moi même les vibrations manis et keras ( yin et yang) , et j'ai dans mon répertoire aussi bien des danses réservés aux femmes qu'aux hommes, ainsi que des katas d'art martiaux . Je peux aimer danser de façon féminine sans être pourtant attiré par les hommes. En Inde l'interprétation féminine est dite lasyan, elle est ondulée, tandis que l'interprétation masculine, tandava, est plutôt raide, et mon professeur Krishna Rao insista plus tard pour que j'imite le moins possible le style lasyan qui s'exprimait tout autour, puisque ce sont surtout des femmes qui pratiquent la danse.
Personnellement, en improvisant mes fables dansées, j'oeuvre, selon les suggestions de Sri Agastyar, à rétablir en moi même cet équilibre entre l'expression masculine et l'expression féminine que l'on pense pouvoir n'obtenir qu'en couple. Certes en couple , l'énergie est davantage réveillée , on a l'impression d'un passage de témoins, et de participer à l'humanité pour la fertiliser, la vie corporelle fait sens , la félicité spirituelle parait compatible avec le plaisir physique . Néammoins avec l'androgynat yoguique apparait une opportunité de se soustraire à l'illusion des désirs et leur cortège de catastrophes , mais comment ne pas rester coincé dans l'horloge ? Hors de l' alchimie hétérosexuelle , mes relations avec autrui ne peuvent procurer que des extases intellectuelles, ce qui n'est pas moins intéressant que les relations physiques , mais dans les deux cas, l'accord nécessite une harmonie volontariste réciproque .
Je sais pourtant que l'attraction instinctive est davantage prisée que l'ajustement harmonieux, mais en ce qui me concerne le sexe n'existe pas en soi, pas plus que l'oreille et les yeux, et le mental dépollué par le feu du Phénix devient le coordinateur des sens et le scrutateur de la Conscience cosmique .L'intellect est un pôle électrique qui à son paroxysme devient magnétique , ce qui attire vers le sexe de la personne au mental rayonnant, et si on se prète au jeu , le mental devenant magnétique, c'est le sexe qui devient électrique . S'ensuit un courant alternatif qui entre les partenaires inverse continûment les pôles masculins et féminins. De là , que désirer ? Désirer c'est prendre le risque d'une impasse de plus dans la destinée animale, alors autant contempler le Je cosmique à l'oeuvre , le souffle qui anime la marionnette d'os, mème en parlant avec le langage limité de l'humain, s'il y a un désir d'écoute .
Je bafouillais, pour répondre à Aragon : '' C'est clair que je suis fauché, je ne sors que pour la danse, et seulement là où c'est gratuit''. et voilà qu'il me réplique , en se désignant de la main : ''Alors si tu es fauché pourquoi tu ne demandes pas à papa ? Viens, je vais t'acheter une chemise et un pantalon'' . J'étais confus et j'expliquais que j'avais juste besoin de vêtements pour prendre le métro d'un cours de danse à l'autre , que j'avais horreur de me sentir serré dans des tissus , sans pouvoir lever bras ou genou à ma guise , et horreur du cinéma mondain, où en plus, désargenté comme j'étais, je ne pouvais accompagner aucune consommation .
En fait avec cette disposition d'esprit, je me sentais riche comme la nature, je n'ai découvert que j'étais pauvre que vers soixante ans, quand des parasites identitaires avec pouvoirs de rétention, d'expulsion ou d'interdiction de séjour ont refusé visa ou carte de séjour à mon épouse parce que socialement je n'avais pas assez d'argent en banque . Là j'ai compris que le vrai diplôme chez les fascistes assassins de Lorca ou de Manouchian, c'est l'argent, ou la couleur de la peau , et que l'ascèse lorsqu'elle porte chance porte ombrage à ceux dont la créativité se limite à dompter les esprits par la matière. Jusqu'à ce qu'on me demande de montrer tant d'argent pour que soit respectés mes droits de citoyens , jusqu'à ce que cette règle du jeu m'oblige à me ruiner judiciairement et en acrobaties économiques je pensais être riche parce que je l'étais en amour, en ferveur studieuse et en air pur.
Car déjà à la fin de mon adolescence , après une lettre de Simonne Jacquemard reçue dans un établissement psychiatrique où m'avait placé ma famille, je m'étais mis , pour m'affranchir de toute trace de l'identité grégaire, sur la voie d'un yoga centré sur mes ressources intérieures. Les bars , les restaurants, les divertissements étaient pour les autres, ils n'illusionnèrent jamais mes désirs. Bien sùr je n'étais pas contre la réussite sociale pourvu qu'on soit aimanté par l'utopie de vie dans laquelle je commençais à m'insulariser, mais je n'avais déjà aucune motivation à faire des concessions pour plaire selon les normes vestimentaires de mes contemporains. Bref je vivais sur le plan de mes choix de conscience. Cependant j'étais vraiment ravi d'entendre Aragon exprimer son affection en me parlant comme à un fils d'une façon dont mon père fut toujours incapable. C'était comme être adoubé par l'enchanteur Merlin dans le monde Réel, avec un mot de passe pour dégainer Excalibur du rocher où l'épée avait été plantée.
Aragon me parut réjoui de retrouver mon franc parler, et mon type d'ambition dénuée d'arrivisme, et ajouta : ''Bon ,viens à la maison, qu'on discute un petit peu'' . La rue de Varenne était toute proche, nous gravîmes les escaliers et il me fit asseoir en face de lui dans son bureau, dans lequel je n'étais jamais entré... En effet du temps d'Elsa on se rencontrait dans le salon, c'était avec elle que je conversais, et lui passait de temps en temps, comme pour nous observer, ou s'il stationnait, c'était pour savourer et jubiler d'observer la relation de type maternel qu'Elsa entretenait à mon égard pour tenter de me sauver du Déluge.
S'il parlait, sollicité par Elsa , il se transformait alors pour moi en statue du Commandeur, ce qui suscitait chez elle un regard tendre et ironique . Bref au temps d'Elsa je n' avais pas connu Aragon familier. Lors de l'enterrement j'avais senti que ma compagnie lui faisait du bien , j'étais certain d'avoir été proche de son coeur, je suppose parce que j'avais été avant tout le protégé d'Elsa. J'avais senti que ma présence le mettait à l'aise car elle ne nécessitait ni grands discours ni conversation nourrie. Maintenant donc , allais je avoir avec lui une communication décontractée comme celle que j'avais eu avec Elsa ?
Moi j'avais attendu d'être invité pour ne pas avoir l'impression de m'imposer, et ce jour où je m'assis dans son bureau je le découvris différent de ce que je l'avais connu auparavant. Bien sûr il ne pouvait parler que de sa mythologie dans l'Histoire , mais la statue n'était plus de pierre ou de carton pâte, c'est comme si la douleur du deuil l'avait transformé, et que la douceur de l'âge meurtri l'ait précipité vers des réflexes de complicité adolescente ... d'ailleurs il disait avoir du mal à supporter la fréquentation des vieux cons , et là forcément je reconnaissais une affinité, puisque j'étais allergique aux pantins du milieu artistique et littéraire tellement hypocrite et vaniteux, où l'accessoire mille fois ressassé empêche de communiquer sur l'essentiel qu'est la simplicité des aspirations humaines matérielles et spirituelles. Je ne dis pas que les autres milieux sont plus fiables, mais que les poètes font comme s'ils suffisait d'annôner de grands mots avec grand style pour se faire passer pour voyants, lucides, prophètes... le cléricalisme est mortifère, mème avec une rhétorique anti conformiste.
Nous étions face à face assis chacun d'un côté de son bureau, et Aragon se lança encore dans ses souvenirs, mais comme s' il ne s'agissait plus d'un temps révolu, mais d'un temps presque retrouvé. Puis voilà qu'il me sortit, après m'avoir toisé de façon songeuse et amusée : '' Tu me fais exactement penser à moi quand j'allais rendre visite à Barrès'' . J'étais plutôt stupéfait, car il venait de me parler de sa rencontre avec Apollinaire et maintenant c'était Barrès, carrément un homme de droite, loin de partager comme moi les opinions de Jaurès sur les nationalismes ... Jaurès, qui a même écrit des poèmes mystiques d'autant plus plus convaincants qu'il n'instrumentalisait pas le mot Dieu dans ses discours politiques... Je savais que Barres avait compté pour Aragon , mais de là à se comparer à lui ....j'exprimais mon étonnement. Il me répondit quelque chose comme : '' Tu sais, petit, l'important ce sont les hommes eux mêmes, leurs qualités personnelles, et puis dans la vie , quand on est à la poursuite d'un idéal, on ne sait pas tout de suite quel sera son visage''. Néammoins moi à dix ans , ce n'est pas Barrès qui m'avait exalté mais '' les Mille et une Nuits'' , l'édition illustrée d'Antoine Galland.
''Mais, me récriais je , je suis tellement différent de ce que vous étiez à cette époque... '' Il poursuivit : '' Tu es quand même avec une Elisa, l'amour à l'amour ressemble... quoique .... c'est vrai, ton visage me fait plutôt penser à celui de Desnos'' et il partit sur une longue tirade sur Desnos des temps surréalistes jusqu'à sa fin. ''J'espère'', dis je'' que mon destin ne sera pas aussi tragique...'' ... peut être me voyait il maintenant ressemblant à Desnos,à cause de mes yeux obstinément cernés ... J'avais l'impression qu'Aragon dansait avec les mots au fil du temps qui passe, pour imprégner de la flamme d'éternité l'instrument passagèr du corps parlant, écrivant, et qu'il s'absorbait parfois dans ce que les dalangs conteurs malais du théâtre d'ombre, appellent lupa - l'Oubli - dont ils s'enivrent alors extatiquement, à force de mémoire.
Je me remis à passer voir Aragon rue de Varenne et un jour je lui demandai pourquoi il avait refusé d'être le candidat du Parti communiste à une élection présidentielle où il en avait été question, cela lui avait été suggéré . Dans ma naïveté je supposais qu'un président vraiment sincère comme lui aurait pu inspirer une révolution véritable . Il me répondit : ''Tu sais, fils, la Révolution a déjà eu lieu '' .... '' Ah bon, quand ? ''lui répliquais je , étonné. '' Mais en 1989 ! ''me fit-il , ''et on n'a mème pas mis en oeuvre toutes les possibilités démocratiques qu'elle a rendu possible .... ''
Aragon me demanda une autre fois si j'avais un livre en cours, je lui parlais de LA SCIENCE FICTION C'EST NOUS dont je venais de finir une version. Il me dit de lui apporter ça. En fait ce livre est le dernier de ma première époque , et alors que je le finissais, j'avais commencé les PICTOGRAPHIES , la première oeuvre de ma deuxième époque, où apparait l'oiseau du Paradis .Ma première époque d'adolescence s'achevait avec une auto-psychanalyse personnelle élargie à celle de la planète... j'en avais déduit que l'exploration psychanalytique ne peut changer un destin, juste nous adapter aux vasanas , aux traces des déterminismes dans notre destin, et aux vikalpas, au bruit psychique qu'elles font. La découverte livresque de ces concepts m'inclina vers une rupture identitaire plus radicale. Je n'étais plus artiste pour me faire comprendre mais pour me construire, les arts seraient désormais pour moi des outils yoguiques d'expansion et de rétraction des sens . Comme on le constata dans le journal ''Le Monde'', j' avais déçu les attentes placées en moi. Car mes attentes à moi étaient très loin de ceux qui jugeaient de tout dans leurs chapelles .
Mes PICTOGRAPHIES , c'étaient des dessins . J'y apparais d'abord prisonnier dans une caverne, et dehors un Phénix guide ma danse , prête à affronter des avalanches de rocs de le le rejoindre ,à la façon d'un éclair. Puis je m'envole sur la grille qui m'emprisonnait, ma tête devient un soleil ... En ces temps là , je n'avais pas encore découpé ces Pictographies comme une succession de poèmes avec des titres. Il s'agissait alors d'un rouleau de papier dessiné , je pensais que cela allait déboucher sur une commande de fresque géante avec les participations de mes amis Zia Mirabdolbaghi et Alain Sabatier, car ce dernier nous annonçait une commande du Musée d'Art Moderne qui ne se concrétisa jamais. La maquette d'un épisode de cette fresque était affichée en permanence, en grand ,sur le mur de l'appartement de Zia.
Alain , Zia et moi avions oeuvrions alors au sein de la Horde Catalytique, à l'origine un groupe de jeunes artistes produisant des improvisations de musique contemporaine sur des instruments de toutes origines culturelles. Edmonde Charles Roux, nous avait invité à jouer dans une émission de télévision qui lui était consacrée, et Aragon vint assister à un de nos concerts lors du Festival de jazz du Vieux Colombier de 1971 .Dans ''les Lettres Françaises'' il nous donna l'occasion de publier nos manifestes pour annoncer ce concert. A la fin du spectacle, il vint nous saluer sur scène mais mes camarades d'alors se défilèrent, l'un d'eux se montra même impoli à son égard, sans même prendre le temps de recevoir sa main tendue, comme s'il craignait de se compromettre avec le revenant d'un monde obsolète. Heureusement Aragon savait comment les jeunes artistes , comme à son époque, avaient tendance à l'arrogance vis à vis des anciens . Je restais seul alors avec Aragon, à expliquer qu'ils étaient intimidés et devaient d'urgence débarrasser le matériel , car les responsables du théâtre avaient demandé de vider la scène après le spectacle . .
Ce groupe cessa d'exister lorsque je partis m'installer à Bali en janvier 1974 ,les membres se dispersèrent, puis je fus pendant plusieurs décennies seul à me réclamer d'un art catalytique et en proposer des définitions et mises en pratique . Finalement en 2013 me vint l'idée de ressusciter cette Horde catalytique sur internet en y accueillant plusieurs amis poètes et artistes, comme Patrick Quillier, Alexandre Gerbi, Jay Cee , André Orphal, Sylvia Bagli et je ne cite ici que les participants les plus concernés , les autres savent qu'ils peuvent également se réclamer explicitement de ce groupe dans leur vie publique , que leurs initiatives sont bienvenues au nom du groupe, dans le respect des individualités, dans la mesure où ils partagent notre conception de l'art comme outil de l'évolution de l'espèce humaine, comme catalyse fusionniste. Un groupe qui réunit plusieurs dizaines d'artistes et auteurs dans la mise en scène virtuelle de l'Histoire de ce siècle 21.
Aragon confia le manuscrit de LA SCIENCE FICTION C'EST NOUS à Edmonde Charles Roux qui l'apporta à Eric Losfeld et celui ci le publia, avec une photo du concert du Vieux Colombier en 4ème page de couverture. A chacune de mes visites Aragon continua à me donner de ses livres ou d'autres , d'Elsa ou une anthologie d'écrits sur l'art par Eluard. Certains ont disparu , comme pas mal d'archives car lorsque je partis vivre en Asie , ce fut juste avec un sac, et donc lorsque je revins beaucoup plus tard chercher mes affaires , l'appartement étant resté occupé par des amis du groupe,je n'ai pas tout retrouvé.
Elsa , Aragon ,puis Edmonde n'avaient jamais économisé leur soutien pour que je puisse réaliser mes projets, ils savaient téléphoner avec insistance pour débloquer des crédits, qui quoique maigres , suffirent presque à m'organiser à Bali et en Inde ( où j'eus ensuite d'autres faibles sources de revenus, travaillant dans des institutions françaises avec un salaire indien, c'était alors 20 fois moins qu'un salaire français. J'ai vu des amis artistes, dont je parlerai ailleurs peut être , claquer en quelques semaines des sommes du genre de celles qui me permirent d'étudier des années en ascète , quoique presque continûment en couple . Pour des questions liées à la difficulté d'obtenir des visas permanents , et parce que j'étais intéressé par étudier dans ces deux pays, ma vie allait se partager entre eux une dizaine d'années, passées à apprendre, présenter puis organiser et créer des danses , avec la bienveillance complices de mes professeurs.
Je revins à Paris en décembre 1977 soutenir une thèse sous le titre ''Animations corporelles à supports mythique, rythmique et rituel en Inde et en Indonésie'' . La soutenance était suivie d'une présentation de la première version de mon théâtre des oiseaux de Paradis, qui combinait des ressources de danse de plusieurs origines, européenne et asiatique. J'avais envoyé d'Inde une invitation à Aragon mais je n'eus aucune réponse et je ne le vis pas arriver le jour venu. A l'époque il n'existait pas de téléphone portable et en Inde je vivais loin de tout téléphone fixe, je ne téléphonais jamais. J'avais prévu de réduire au minimum la durée de mon séjour en France , pour ne pas m'éloigner trop longtemps de ma nouvelle compagne et partenaire Christine et des cours que j'animais dans plusieurs villages.
Et voilà qu'après la soutenance, quelques jours avant la date programmée de mon vol de retour pour l'Inde, je reçois à Marseille un long télégramme d'Aragon m'expliquant qu'il avait reçu l'invitation trop tard à cause d'une grève, la date était dépassée . Il voulait absolument que je le visite avant de repartir. Dans un deuxième télégramme qu'il m'envoya peu après télégramme , il affirmait que mes envois d'images ´´etaient affichés sur son mur. Il s'agissait en particulier, vis je plus tard, d'une photo de moi dansant dans un temple balinais,prise en 1974. Je n'avais à l'époque eu aucun appareil de photo, j'avais donné à mon maître Ida Bagous Ktut Raï Datah tout ce que j'avais alors pour qu'il puisse se construire un toit qui protège sa famille de la pluie, et pour qu'il me nourrisse et m'instruise toute l'année. C'est son cousin le peintre Astawa qui m'avait offert cette série de photos .Le télégramme me parvint chez mes parents où j'étais de passage, je m'apprêtais à prendre le train pour Paris et de là , l'avion pour le retour en Inde. Après avoir atteint la gare Saint Lazare, je me rendis directement au domicile d'Aragon.
Il me parut vieilli, comme flottant parmi ses propres meubles. Il me parla d'abord de ses dentiers, qu'il ne cessait d'égarer dans l'appartement, sans parvenir à les retrouver, ce qui l'obligeait à en acheter de nouveaux, il me disait les prix, il se désolait des prix . Face à son affolement et à ses redondances, je sentais monter en moi une angoisse. Je lui demandais ce qu'il écrivait en ce moment, il me répondit qu'il n'écrivait plus ces temps, et qu'il allait faire de son éditeur Gallimard son héritier. En fait il semblerait qu'il a changé de décision par la suite, à moins que son exécuteur testamentaire ne soit chargé de ce plan sous une forme ou une autre.
En tous cas, j'étais surpris car Aragon m'avait jadis recommandé de reprendre le copyright de mes livres imprimés dès que je le pourrai, ce que j'avais fait pour mes livres lorsque les délais de réédition prévus par les contrats étaient dépassés. Pour moi, cela correspondait à un désir de produire de meilleures versions de mes poèmes et de les mettre en musique. Je lui remémorais ce conseil, mais il m'expliqua que s'il m'avait dit cela c'est qu'il lui avait fallu attendre au dela de ses cinquante ,à 60 ans, pour que les royalties de ses écrits lui permettent vraiment d'en vivre. Mais là avec Gallimard ce serait un contrat pour que l'éditeur réédite les ''oeuvres croisées'' pendant cinquante ans après sa mort.
J'étais carrément étonné qu'il s'inquiète de sa postérité , tant elle semblait assurée . Je lui demandais alors s'il craignait vraiment de tomber dans l'oubli, cela me semblait tellement invraissemblable, il était désormais reconnu comme une référence centrale dans l'histoire littéraire du XXème siècle ... Mais il me répondit , l'air inquiet, qu'en fait tout dépendait des orientations politiques du futur , rien n'était gagné d'avance.... contrairement à ce que j'imaginais, une résurgence de la barbarie fasciste serait encore possible, sous d'autres masques, qui ringardiserait tout ce à quoi lui et Elsa avaient cru ...
Je dois dire qu'il m'a fallu attendre de connaìtre avec mon épouse actuelle les tribulations des couples franco étrangers au XXI ème siècle pour comprendre à quel point il avait vu juste et avec quelle subtilité il est devenu de plus en plus possible en France de neutraliser par de nouvelles doxas médiatisées toutes sortes de témoignages véridiques , fussent ils abondamment étayés ... Aragon savait que l'Histoire connaissait divers procédés de falsification depuis des siècles, et qu'ils ne resteraient pas nécessairement le monopole des fascismes explicites et du stalinisme du siècle 20...
Même lorsque s'y pratiquait le massacre amérindien et l'esclavage, les Etats Unis d'Amérique se proclamaient bastions des libertés et de l'espérance humaine, et cela faisait consensus en Europe . Il n'y a que lorsqu'un pouvoir est vaincu que ses méfaits sont mis en relief . L'Europe se prétend actuellement le bastion des droits de l'homme, il suffit pour le croire de ne pas en avoir vécu le déni, et lorsque je rapporte avec force détail tout ce dont j'ai été le témoin ou que j'ai subi depuis que je vis avec Nim , mon actuelle épouse , d'origine africaine, je vois que je me grille chez les intellectuels médiatisés et que je peux passer dans ma propre famille pour un fou qui invente , exagère,par parti-pris idéologique, un conspirationniste farfelu et victimiste.
Partout, les privilèges des nomenklaturas et des exploiteurs réduisent leur entendement, et comme les castes nanties estiment leurs privilèges basés sur leurs mérites personnels, ceux qui sont traités comme bétail leur paraissent nécessairement avoir mérité les tribulations de leur karma. Lorsque juifs, palestiniens, tatars, roms, tutsis , couples franco-étrangers , homosexuels vivent sous une épée de Damocles dans un pays , ce qui a toutes sortes de conséquences pratiques asphyxiantes, cela est rarement reconnu par leurs contemporains ,pas même par les minorités auparavant persécutées , et qui au contraire conçoivent comme raisonnables les nouvelles ségrégations qu'elles exercent, sans en peser les conséquences , puisqu'elles ne sont médiatisées que pour les minimiser */note 3. Ce n'est que lorsqu'il est trop tard et que l'épée de Damocles est irréversiblement tombée, que l'on dénonce reconnaìtre le mal, et encore ...
Mais Aragon avait vécu la période de la gouvernance pétainiste et Elsa avait témoigné sur les lendemains de la libération, et donc ils savaient comment on fabrique ou ruine les réputations, comment le résistant avait été nommé terroriste, puis comment l'opportuniste avait été capable d'antidater ses retournements de veste, et de se servir des mots comme d'une fausse monnaie . Aragon savait, lui, qu'il suffisait , pour des gens de pouvoir ayant des complicités médiatiques, de lancer l'opprobe sur tel ou tel auteur , pour que tout à coup, personne n'ait plus envie de le lire. Il savait qu'on pouvait perpétuer l'adulation d'un écrivain en le valorisant médiatiquement, et qu'il lui serait trouvé des justifications pour même ses faux pas , tant que durerait sa béatification et qu'il ne serait pas préjudiciable d'en prononcer le nom en société . Tandis que moi je croyais encore que l'espèce humaine progressait en conscience de façon irréversible, avec la certitude que mon théâtre des oiseaux de Paradis serait dans le futur la référence providentielle de l'unité humaine dans toutes les langues de la planète, une sorte de folklore sensé pour un saut évolutif de l'espèce .
Face aux affolements divers d'Aragon et à ses redondances lors de nos retrouvailles , j'avais senti monter en moi une angoisse parente de celle qu'avait suscité en moi la décrépitude d'Elsa. Car ce jour là il ne ressemblait plus à l'Aragon que j'avais connu .Il paraissait accablé par une crise de dislocation , de froide sécheresse , il ne rayonnait plus dans le rôle du voyant inspiré qui inspire mais dans celui d'un vieil homme qui contemple sa réussite pour éviter de s'attarder sur son délabrement présent. Bien sùr, je comprends aujourd'hui qu'un pédagogue ne souhaite pas voir poubellisée l'oeuvre de sa vie, il est légitime qu'elle atteigne ses destinataires pour les éclairer. Mais là j'avais l'impression d'un affollement mental, d'une solitude aigue qui se rassure en prenant les allures d'un ''gentleman farmer'' gérant ses propriétés et ses intérêts post mortem. Etait ce une crise passagère de perte d'identité? J'avais la nostalgie du rôle de témoin historique dont Aragon avait su jouer avec efficacité et distanciation pour faire évoluer ses auditeurs . Là ses phrases sortaient comme dénuées d'inspiration, limitées à des considérations matérielles dérisoires et futiles, comme s'il était redevenu, selon ses propres mots sur son passé, '' l'escamoteur que l'on fait disparaître''. C'était tragique car c'était seulement une façon de se masquer un désastre par une démonstration de cohérence qui suintait comme un délire , une atteinte de la mort vivante.
Alors comme Aragon m'avait dit avoir regretté de ne pas été informé à temps de la soutenance de ma thèse , qui s'était terminée par la présentation de mon théâtre des oiseaux de Paradis , je décidais de rompre avec cette ambiance délétère qui me mettait mal à l'aise : Je me levais et lui dit que j'allais lui montrer ma poésie dansée actuelle... J'explicitais d'abord ma conception de la poésie dans le sillage des antiques poètes indiens Jayadeva et Binda, à savoir d'une poésie indissolublement liée au chant , à la danse , au symbolisme yoguique d'une mythologie , d'une poésie qui puisse agir sur les divers plans sensoriels et mentaux comme une catalyse du théâtre de la vie quotidienne , de sorte que l'évolution spirituelle de l'espèce ne soit pas juste des mots sur un étendard. Je demandais si je pouvais pousser les fauteuils pour danser , car j'avais besoin d'espace, il acquiesça comme soulagé d'ètre extirpé de ses balbutiements répétitifs .
Alors, comme je me mis à danser en chantant , je vis revenir sur sa face son regard inspiré, éveillé, son écoute, sa disponibilité , et je me sentais de nouveau en confiance devant sa bienveillance paternelle retrouvée. Je sentais que le décalage créé par ma longue absence se dissipait, je retrouvais un regard qui semblait ravi de voir que je n'avais pas perdu mon temps, mon activité prolongeait les intuitions qui l'avaient exalté dans ses songes andalous et ses tâtonnements en langue malaise : Bref que ce n'était pas en vain qu'Elsa puis lui m'avaient soutenu dans mes projets, même si je n'avais pas fait fructifié à Paris ma notoriété naissante de jadis, car j'avais pris pied dans mon utopie, j'avais réalisé mon rêve et il était prêt à être partagé avec qui serait réceptif .
A vrai dire, à Paris le succès était d'être un grand homme déclaré incontournable par sa tribu, on déifiait le grand poète et on ricanait du poète raté mais qui lisaient vraiment l'un ou l'autre ? Même ceux qui le faisaient ne projetaient-ils pas ardemment leurs certitudes sur les deux ? De ce fait dans les deux rôles on pouvait se sentir dans un malentendu qui zappait la résonance du sens dans la vie quotidienne . En dehors de mon alchimie intérieure d'artiste, qu'avait été ma vie à Paris sinon une alternance de glorifications et d'humiliations également dérisoires, sur la foi d'utopies qui portaient ombrage si elles ne restaient pas virtuelles . Par contre , en communiquant avec ma danse devant des publics populaires d'ethnies diverses, je déjouais le regard des snobismes orthodoxes , on ne pouvait nier mon rayonnement qu'en détournant la tête, je sortais de la pesée des spécialistes et de leurs attentes . Le public non patenté est généralement humble donc réceptif, car même si sa perception est limitée , il ne cherche échapper au rayonnement de la danse puisque c'est ce qu'il est venu chercher comme un réconfort . Ce sont les organisateurs , imbus de leur pouvoir, qui ont tendance à être pétris de snobismes , comme des fonctionnaires de la culture qui n'ont pas vraiment le temps de regarder ce qu'ils recommandent pourvu que ce soit déjà adoubé par des célébrités.
Lorsque j'eus fini de danser, Aragon me dit : ''il faut que tu restes à Paris, je vais appeller Cardin et il va organiser des spectacles dans son théâtre ''. Cardin était un couturier très célèbre , on dit un ''grand couturier' ,qui avait ouvert une salle de spectacles à Paris, l'espace Cardin , et Aragon semblait désormais fréquenter cet homme de près . J'étais heureux de sentir que la foi d'Aragon en moi paraissait soudain redevenue aussi vive que jadis, et même davantage ,mais mon billet d'avion était réservé et confirmé pour le lendemain. J'étais amoureux de Christine , qui avait pris le relais des cours de danse que j'animais à Auroville et dans les villages tamouls environnant . A cette époque là , je croyais être installé en Inde pour toujours,je croyais que les difficultés financières et surtout administratives seraient vaincues, et Paris me semblait un sable mouvant propice aux marchés de dupe, sans suivi donné aux enthousiasmes passagers .
Je vivais en ascète , c'est à dire avec des besoins matériels limités au strict nécessaire, cela me permettait d'éviter toute prostitution de mon temps à une termitière qui avait d'évidence d'autres priorités que les miennes . Ce qui était néammoins plus retors c'était déjà d'affronter le verrouillage progressif des frontières . Les constitutions sont pleines de préambules humanistes mais sont le plus souvent des masques pour les prédateurs vampires des nations et leurs sociétés de contrôle. A Paris mon patron de thèse m'avait proposé en vain *note 4/ de prendre la succession de Roger Ribes pour les cours de danse à l'université, au département théâtre. Apres des années de vacations régulières où Roger n'avait pas été payé , l'argent qui lui était dû était enfin arrivé à l'université, mais plus personne ne savait où le contacter, car il avait démissionné pour aller ouvrir un cours à Venise , sur l'invitation d'une école de danse. Voilà ce qu'on m'apprenait, et j'étais le seul à avoir gardé le contact avec Roger pour l'informer ....
Je repartis vivre en Inde, puis encore à Bali, puis je revins fin 1982 en France pour une tournée de danse . Christine et moi nous avions aménagé un véhicule en camping-car pour sillonner les routes avec des haltes prévues dans les théâtres et autres salles où nous allions danser .Nous arrivâmes à Paris à l'aube, ma première visite fut tôt ce matin là pour Aragon... il venait de décéder. Il me semble que sur la première page du livre d'or posé pour les visiteurs , j'esquissais un oiseau de paradis, et que j'écrivis quelque chose pour exprimer comment l'Amour est un témoignage du Divin . L'offrande Divine s'exprime davantage dans la pratique de l'amour créatif au quotidien que dans les dogmes religieux ou les discours ostentatoires. Répondant à mes questions devant le lit rue de Varenne Jean Ristat me rapporta qu'Aragon avait souffert des mois, perclus d'escarres.
Aprés deux années de spectacles , je partis vivre en Polynésie où je vécus 22 ans,j'obtins de faire créer des ateliers et options théâtre au Lycée, suite à une loi votée en 1983, ce qui me permit de faire vivre mon théâtre catalytique et de mettre en scène des pièces d'autres auteurs . Après de nombreuses années ,Christine attribua ses ennuis de santé au climat humide ,et fut jalouse de mes élèves sans que je n'en ai fréquenté aucune aucune intimement. Elle voulut revenir vivre en Europe, et je la suivis, puis nous nous séparâmes et je repartis pour la Polynésie . Il me semble que c'est en 2002 que Riro,la vahiné qui m'accompagna ensuite , me dit un jour que la compagne de sa fille s'appelait Hinatea Triolet.
Dans son premier livre , évocation de son temps en Polynésie, Elsa compare les pics abrupts de Moorea aux tours du Kremlin... mais elle raconte aussi son ennui, et finalement elle était repartie seule à Paris, où elle allait rencontrer Aragon. André Triolet était resté en Polynésie, et y avait eu apparemment une descendance ...
En janvier 2009, je déménageai en Afrique et j'y vécus depuis avec Nimozette, jusqu'à l'épouser, nous vivons ensemble encore à cette heure . Nous fîmes , et faisons encore l'expérience d'années de galères administratives et financières, cette fois en raison des frontières renforcées des états Schengen, où les préambules et le droit strict des lois sont bafoués par des artifices procéduriers interminables et l'impunité de fonctionnaires qui récidivent mème lorsqu'ils perdent des procès ... Oui, le poème de ''l'Affiche rouge'' et ''le Rendez vous des étrangers d'Elsa'' sont toujours d'actualité, même si chaque époque a ses masques spécifiques , son narcissisme ostentatoire propre , sa façon de maquiller ses méfaits et de judiciariser le combat pour obtenir le respect des droits théoriquement garantis par les constitutions et les accords internationaux. Il n'y a plus de pancartes pour menacer de poursuite les mariages raciaux, mais des sabotages à tous les niveaux, un fascisme rampant d'autant plus virulent qu'il bénéficie de l'impunité et de l'indifférence de ceux qu'il épargne ou flatte.
Elsa et Aragon avaient finalement démystifié le théâtre des apparences ,ce qui ne les empèchait pas d'y jouer, bien au contraire .Ils pouvaient concevoir et faire connaître les souffrances et les injustices subies par d'autres qu'eux mêmes dans une termitière humaine largement dépourvue de conscience , sauf superficiellement. C'est là que les activités d'un poète , d'un artiste ont du sens : il s'agit de partager une ambiance où amour et liberté ont droit de cité , même si c'est en marge des hiérarchies dominantes. Bienvenue dans l'Humanité , voilà ce que je répète pour pouvoir l'entendre. MAEVA, MANAVA,AROHA (ou Aloha en hawaïen) !
Dominique Oriata TRON *note5/
______________
*note 1: Pour des raisons trop longues à expliquer ici, j'ai éprouvé le besoin d'écrire en tahitien le sous titre de cet opus, comme je le fais pour mes peintures. Cela veut dire quelque chose comme '' la rencontre ancienne de la bienveillance'' (AROHA exprime en fait l'amour spirituel désintéressé du coeur, la salutation qui porte chance, alors qu'HERE - prononcer héré-exprime l'amour des amants)
*note 3: voici la transcription, faite à partir d'une ancienne bande magnétique d'une émission de télévision qui fut diffusée le Samedi 5 février 1966 sur la 1ère chaîne en France ( à l'époque il n'y avait que deux chaînes). Cette émission s'appelait '' la vitrine du Libraire '' et on y trouve des interventions d'Elsa Triolet, Guillevic et Pierre Seghers, ainsi que de moi même et de mes parents (l'émission est un montage d'enregistrements réalisés à Paris et à Marseille, tout le monde n'est pas présent en même temps devant la caméra)
Jean PRASTEAU : ''STEREOPHONIES, de Dominique TRON... C'est l'oeuvre d'un poète, mais d'un poète assez particulier puisqu'il a quinze ans. Pierre Seghers, quelle est l'histoire, la courte histoire de Dominique TRON ?''
Pierre SEGHERS : Pour moi, cette histoire commence en 1964, peu avant Noël. Dans l'ensemble des manuscrits que nous recevons en tant qu'éditeur , tout à coup je trouve , sur une feuille de papier écolier, une lettre rédigée de façon très étrange, et il y a trois poèmes avec... alors... je lis toujours le courrier qui me parvient, et immédiatement... j'ai trouvé, dans ces trois poèmes, une présence très particulière, une affirmation, quelque chose qui me paraissait révéler vraiment un poète. Et ... comme dans sa lettre ce jeune garçon me disait qu'il venait d'avoir quatorze ans, j'ai failli même ne pas croire que ce Dominique TRON existait...puis deux ou trois jours après, me rendant chez Elsa Triolet, au cours de la conversation, madame Elsa Triolet me dit : "Mais connaissez vous un garçon de Marseille qui s'appelle Dominique TRON ?"... Ce garçon avait envoyé de son côté à Elsa Triolet certains poèmes, et nous nous sommes rencontrés tout de suite sur cette certitude que Dominique TRON était un vrai poète. Alors nous l'avons encouragé, je lui ai écrit, nous avons eu des manuscrits, j'ai lu tout ce qu'il faisait , et de plus en plus je pense que nous avons avec ce très jeune garçon un écrivain en puissance et déjà réalisé avec le livre STEREOPHONIES.''
Jean PRASTEAU : ''Nous avons demandé aux parents de Dominique TRON ce qu'ils éprouvaient en voyant le nom de leur fils dans la vitrine du Libraire''
YVETTE : "Bien sûr , de voir mon fils dans les vitrines ça m'a fait plaisir, mais enfin je ne sais pas où l'avenir...''
FERDINAND : ''Eh bien c'est très agréable de voir son fils édité, c'est évident, seulement je crois que la priorité doit être laissée d'abord à ce qui sert de base à la vie , les succès universitaires. La poésie ne peut être, à l'heure actuelle, qu'un divertissement.''
Jean PRASTEAU : ''Elsa Triolet a rencontré Dominique TRON . Elle a préfacé Stéréophonies. Que pense t elle du poète ?''
Elsa TRIOLET : ''Je crois que ce qu'il écrit maintenant, et ce qui me confirme absolument son talent tout à fait exceptionnel, eh bien ça correspond à cette évolution du tragique en lui ... Il y aussi un très grand changement dans la forme de ce qu'il écrit ... il est maintenant influencé par la musique ... Il a toujours été influencé par la musique , mais maintenant il a découvert le compositeur grec Xenakis qui base dans une certaine mesure sa musique sur le calcul des probabilités, c'est une intrusion des mathématiques dans la poésie de Dominique TRON, en tous cas, il le croit, et ça change beaucoup la forme. C'est devenu beaucoup plus dur... Bref , je regarde ça avec un très grand intérêt, où ça va , et comment ça va se développer, parce que ce qu'il y a eu jusqu'à présent, ce qui nous différencie de lui.... je suis presque une aïeule par rapport à lui, eh bien c'est qu'il a digéré et englobé dans sa poésie tout ce qui a été nouveauté... Lui ce n'est plus de la nouveauté pour lui, enfin les cosmonautes sont déjà ses frères, à peine ses aînés ... ce qui est intéressant aussi dans le cas de Dominique TRON, c'est que ça dépasse sa personne, ça dépasse ce qu'il fait, lui . Nous n'avons pour ainsi dire pas de poètes de vingt ans... enfin, tout ce que je reçois de garçons de cet âge, que ce soit ici, ou les poètes soviétiques dont je m'occupe tout de même, eh bien ils ont trente ans , c'est ce qu'on appelle maintenant les jeunes poètes. Or lui, il en a vingt, enfin, qu'est ce que je dis, il en a quinze. Alors ce que nous trouvons de neuf chez lui se répètera peut-être dans une génération...''
Jean PRASTEAU :''Dominique TRON, comment êtes vous venu à écrire ? Quel est le premier poème que vous avez écrit ?''
Dominique TRON : ''Le premier poème que j'ai écrit est en rapport avec Agadir. J'ai en effet vécu à Agadir pendant deux années lorsque j'étais tout jeune, et j'avais appris avec ma mère le piano... aussi, comme mon petit frère avait été mis au piano, lorsque j'ai commencé à écrire, c'est à dire il y a deux ans, en janvier 1964, j'ai tout de suite pensé à Agadir... Agadir qui est un peu, comme le dit le poète suédois Lundkvist, un paradis terrestre''
Jean PRASTEAU : ''... et la suite ...les autres qui sont venus après ...''
Dominique TRON : ''J'ai été encouragé par un romancier qui est assez proche de nous ,qui est André REMACLE, et heureusement que j'ai connu cette personne, car autour de moi, personne, personne ne s'intéressait à la littérature vivante''
Jean PRASTEAU : ''Quelles sont les lectures qui vous ont influencé ?''
Dominique TRON : ''D'abord j'avais découvert dans la bibiothèque de mon père, au grenier, un volume d'Apollinaire, et ensuite André Remacle m'a prêté des livres d'Eluard, d'Aragon et j'ai commencé à être influencé par lui, par eux , puisque je les lisais, et ensuite, mais pas dans ce recueil de poèmes, j'ai été influencé par Henri Michaux que j'ai découvert il y a un an maintenant, et qui depuis un an est mon poète préféré...
Jean PRASTEAU : ''Quand vous écrivez , est-ce que le poème vient d'un seul jet ou bien est-ce que vous travaillez beaucoup?''
Dominique TRON : ''Il y a un an je travaillais beaucoup le poème, et je ... il était fait surtout de petites pièces détachées que je choisissais par la couleur et que j'assemblais, et maintenant, il me semble que c'est surtout un cri ...''
Jean PRASTEAU : ''Pourquoi avez vous intitulé votre recueil Stéréophonies ?''
Dominique TRON : ''Parceque j'ai voulu faire penser d'abord à de la musique, et ensuite une musique qui envahirait tout l'être par plusieurs haut-parleurs, et d'ailleurs dans le livre on trouve des phrases parallèles qui sont comme des échos à d'autres phrases ...''
Jean PRASTEAU : ''Monsieur Guillevic, lorsque vous avez ouvert Stéréophonies, vous poète, quels sentiments avez vous éprouvés ?''
GUILLEVIC : ''Le mot "ouvert " ne me parait pas exact, parce que vous savez je suis un lent, moi, je ne pénètre pas très vite dans la poésie des autres... j'avais déjà lu avant, d'ailleurs, des poèmes publiés soit dans les Lettres Françaises, soit le petit fascicule publié par Pierre Seghers, et je n'avais pas été très accroché. C'est en lisant , en recevant le livre et en le parcourant peu à peu que je suis arrivé à me faire une image, une idée de la poésie de Dominique TRON ... en gros je crois qu'il y a là un poète très doué, son âge ne m'intéresse pas... je ne crois pas qu'il faille être plus indulgent envers un poète de quinze ans qu'envers un poète de trente ans... je ne le serai pas ... bien sûr, comme l'a dit Elsa Triolet dans sa préface, ce qui est très intéressant chez lui, c'est qu'il nous donne un monde de son âge, mais ceci dit, je m'intéresse à la facture, et il me semble que ce garçon est déjà sur le plan de la facture, de l'écriture, un homme mûr, un adulte... il est certes encore plein d'influences, la plus nette, la plus marquée me parait être celle d'Apollinaire, il y a aussi celle d'Aragon, et celle que j'aime moins, de Cocteau, mais il y a quand même, il y a déjà une voix, il y a une voix... Je prends par exemple le premier vers de son livre : "Soda, couleur de réclame" ... en même temps qu'une très jolie invention verbale, il y a une belle ellipse qui me parait neuve... rattacher quelque chose de concret comme un soda, à quelque chose de vague sinon d'abstrait : couleur de réclame .... je crois qu'il y a là vraiment quelque chose de neuf dans le moderne ... tout n'est pas de ce ton là parce que plus loin, par exemple, il dit: "les poissons roulant dans l'onde", ça ça fait encore à mon avis... le mot onde est un mot de la tradition poétique... et bien sûr cette poésie est mélangée... mais il se dégage quelque chose, n'est-ce pas... je prends le dernier vers de ce poème, il parle du réfrigérateur : " il a givré tous nos murmures d'enfants" ... il y a là un accent qui me parait très vrai dans le sens où nous l'employons maintenant pour notre poésie, que nous appelons la poésie moderne... Et, pour finir, j'ai le sentiment qu'il y a même chez ce poète, chez Dominique Tron, quelque chose de neuf que moi je n'arrive pas encore à distinguer et encore moins à formuler...et ce n'est pas étonnant parce que nous ne formulons le neuf qu'après coup, quand on l'a mis au jour... j'ai le sentiment qu'il court dans ces poèmes quelque chose qui sera du neuf demain ou après demain...''
*note 3 : Les ségrégations sont rarement reconnues pour telles par les privilégiés de tel ou tel système social,sauf par leurs victimes et sauf bien sûr s'il s'agit d'événements éloignés dans l'histoire et le temps, et encore,selon l' appartenance ethnique à laquelle on s'identifie, on continue de mythifier les massacreurs glorieux, de Colomb à François 1er, de Saddam Hussein à Bokassa, etc ..., car ils se sont débrouillés pour épargner leur terreur à des majorités consentantes .Je voudrais citer quelques lignes écrites par Scolastique MUKASONGA, dans NOTRE-DAME DU NIL (Gallimard, 2012) :'' - J'ai honte de te le raconter , ça me fait peur, à présent j'ai peur de tous les hommes , je sais que chaque être humain cache en lui quelque chose d'horrible. Même mon petit ami , je ne veux plus le voir : il m'a écrit qu'il était fier de s'être conduit en bon militant, d'avoir frappé les Tutsi (sic) de son établissement, il ne sait pas s'il en a tué , mais il espère qu'avec les coups qu'il a donnés, il y en a qui resteront infirmes;''
*note 4 : En vain.... Quelques années plus tard Maurice Fleuret assista également au théâtre dansé des oiseaux de Paradis,quelques temps avant de démissionner de son poste de directeur de la danse au Ministère parce que les budgets attribués n'étaient servis qu'aprés des délais très longs peu gérables par les artistes... Il m'avait proposé également d'enseigner ,dans un conservatoire, mais son inspecteur Eric Barrault me contacta, j'avais déjà trouvé mon emploi en Polynésie et je ne voulus pas changer.
*note 5 :Une table d'orientation pas vraiment compléte pour l'instant de l'ensemble de mon oeuvre (peintures,poésie, proses, musique, théâtre dansé) se trouve dans une des pages du blog ART CATALYTIQUE (overblog). On explorera utilement également les publications des EDITIONS DU GRIOT (eklablog) , des EDITIONS A L'ECOUTE (blog4ever) et les playlists de la chaîne DOMINIQUE ORIATA TRON (youtube) offrant en accès gratuit plusieurs centaines de fichiers vidéo. Sur facebook, on trouvera toujours en accès gratuit sous forme de scans la plupart de mes livres imprimés à l'époque de mes rencontres avec Elsa et Aragon ,dans les albums de WORLD SOCIAL GOVERNANCE , des photographies de mes peintures (certaines des toiles restent à vendre) dans les albums de FONDATION ABALYON et des photographies de mes spectacles ainsi que leurs textes dans THEATRE CATALYTIQUE DES OISEAUX DE PARADIS, puis mes nouvelles publications sont généralement annoncées sur la page du groupe HORDE CATALYTIQUE POUR LA FIN DE L'ANTHROPOPHAGIE. Pour une notice biographique consulter également la fiche Wikipedia Dominique TRON.
________
La photographie qu'avait affichée Aragon chez lui, avec ma danse dans le temple de Batuan à Bali, et autres documents :
*
jouet et cuillères offerts par Lili Brik :
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
votre commentaire -
Par dominiqueOriata TRON le 11 Mars 2013 à 13:25
version 1 :
version 2 :
Dans un jardin à Marrakech
une fontaine et des oiseaux
Les oiseaux picorent dans l'eau
les reflets du soleil de midi
Sous des arches des musiciens
s'accordent pour la nouba du matin
Arabes , berbères et juifs séfarades
chantent accompagnées de cithares
de luths et de la derbouka
musulmans ou chrétiens ces musiciens
n'ont de Dieu que l'Amour
qui se donne et prend soin des arbres
Le jardin est vert avec quelques palmiers dattiers
Sur une table basse sont posées des pommes
les oiseaux s'en approchent puis reculent
craignant la colère improbable des hommes
et des femmes éblouis par le chant
qui raconte les amours cristallins
du soleil , des ruisseaux, et de la fontaine
Un enfant joue avec une balle
et esquisse des pas de danse
Des hommes en djellabahs blanches et chapeaux rouges
tiennent des tambourins à sonnailles
ils ressuscitent le temps andalou
en dépit des chefs bandits féroces
qui depuis des millénaires
se partagent nos héritages
en verrouillant nos destins par leurs guerres
La pomme est verte comme les prés
le ciel est bleu comme justice
les oiseaux jaunes et la fontaine blanche
rouges les lèvres des femmes
châtains les cheveux des hommes
Une datte est posée sur la table
elle est pour toi le visiteur
qui entendant sonner les maqams
a frappé à la porte verrouillée
les dévots égarés iconoclastes
ont accusé de blasphème la musique
et couronné le mauvais coeur d'Iblis
du titre de docteur de la Loi
votre commentaire -
Par dominiqueOriata TRON le 26 Février 2013 à 17:09
version 1
Il s'agit d'un poème écrit le 25 mars 1966 qui a été dit par moi même à la télévision, au Club des poètes de Jean Pierre Rosnay en 1966 ou 1967 . Pour voir et entendre cliquer sur :
http://www.youtube.com/watch?v=xq1Pfl2qPzs&list=PL3D927E87226FF9DF&index=2
ou
*
version 3
Je me suis tué un soir de septembre
J'avais froid et je voulais danser avec toi sur les violons
mais tu n'as pas tenu ta promesse
Je suis monté seul dans l'avion vers le soleil couchant
j'ai mis fin à ma vie passée en Occident
J'ai voulu mourir à cette vie en résidence surveillée
à cette vie où il fallait adorer les capitaines du vaisseau fantôme
et vénérer leur despotisme déguisé en immémoriale sagesse
Fuir, fuir, mais où ?
Je suis monté dans un avion qui m'appelait portes ouvertes sur la piste
J'ai appuyé sur les boutons enchantés pour allumer le moteur
et j'ai tiré sur la poignée du décollage ,
j'ai soulevé la vitre à côté de mon siège ...
Et j'ai foncé vers le soleil couchant !
L' air des hauteurs me nettoyait enfin des remugles de la ville ...
Avant de partir j'ai anéanti l'empereur de Chine
sur les détritus de mon enfance .
Les membres de ma tribu de singes m'appellaient Paul ou Poltron
je ne sais pas si c'était pour me retenir
ou me pousser au meurtre qu'ils n'avaient pas le courage d'accomplir
Il faut parfois la moitié d'un siècle pour démasquer les hypocrites ...
Non , leur répondis je , je ne m'appelle pas Paul
ne me provoquez pas davantage
oui , je m'enfuis, je suis un escapiste ...
Peut être je reviendrai , mais pas pour parader dans les salons !
Je me suis envolé vers le soleil couchant
c'est comme cela que je me suis tué , en y plongeant
Mes ancêtres regardaient cela de leur planète obscurcie de nuages
et ont crié : regardez, il est devenu transparent !
mais qu'auraient ils donc pu voir, qu'auraient ils plus entendre ?
Ma musique n'était plus conçue pour exalter leurs nostalgies
Ils n'y retrouveraient plus jamais leur piment
alors leur langue resterait morte d'être entêtée dans ses aveuglements
Ils diront que j'ai perdu tous mes élans, ils penseront seulement
que je me suis tué un soir de septembre !
Mon ami Jean Noël qui jouait de la guitare
accusait les survivants d'avoir voulu voler mon âme
en l'enchaînant, en la défigurant, en la déguisant, en la manipulant ...
Et d'autres concluaient que j'avais eu un égo géant
Mes tribulations étaient comme des impasses inventées
pour retenir l'attention des égarés
ceux qui comme moi pour plonger en eux mêmes
ont préférer aller découvrir ailleurs ...
Au premier rang des flatteurs il y avait cette femme
exaltée de clamer qu'elle m'accompagnerait jusqu'au bout du monde
mais elle n'est pas même venue danser sur les violons tziganes !
Tout ce qui l'intéressait c'était de s'enivrer
et de capituler devant les projecteurs de la mondanité
tout en se donnant des airs de rebelle fidèle ...
J'étais une ombre qui cherchait la réalité
dans l'offrande de son esprit, de son coeur,
de ses seins, et de sa vulve entre ses jambes ...
Je n'étais pas encore né , j'attendais cet évènement de ses baisers
mais elle m'aimait ombre parmi les ombres
et non pas pour construire au moins à nous deux un meilleur monde ...
Et maintenant je ne me souviens ni de son visage ni de son nom
Peut être s'agissait il de cette fille d'armateur richissime
à qui j'ai fait rêvé d'une vie sur les cimes ...
En fait elle me voulait comme un caniche dans son salon
qu'on retient pour toujours en lui mettant des loukoums dans la bouche ...
Ah non je n'agoniserai pas en me tuant,
je m'en irai joyeux, loin des voraces voraces ...
Je ne suis plus l'enfant d'une famille , d'une nation,
ni l'amant d'une traîtresse ...
L'urgence c'est seulement que je disparaisse
Les trônes de vanité sont enduits de glu
qui brûle la peau des fesses !
Je me suis tué un soir de septembre
Et c'est comme cela que je suis devenu vivant
car le soleil couchant où je me suis immolé
était déjà soleil levant pour une autre face de la planète !
J'ai seulement disparu du regard
des despotes d'Orient et d'Occident ...
Pour m'enfuir alors qu'ils pensaient me couper en deux
le bibliothécaire avait commandé sur ma suggestion
un attirail de prestidigitateur amateur ...
Néammoins il ne pouvait agir que sur les apparences
ce n'était pas la magie de la mort et de la nouvelle naissance .
Maintenant voilà que j'ai pris refuge dans un corps illuminé
Celui qui danse en moi est esprit, personne ne pourra le tuer
Je me suis laissé habité par la féérie des bienveillants célestes
J'ai appris l'invisibilité pour déjouer la hargne des robots animaux
Les arbres m'ont confié leur secret de jouvence, surtout le cocotier
lui qui bande vers le soleil sans jamais se lasser
et qui donne son eau immaculée et puissante
avec une foule de mamelles toujours renouvellées !
O toi qui m'entends , ne capitule pas !
lève toi et danse et chante !
Et même immobile, en méditation en silence
fais reculer la hiérarchie qui ensemence les offenses !
*
Sauf celle où je suis à côté du Cessna , les photographies publiées ci dessous ont été prises par moi même par la fenêtre de ce petit avion, par lequel un ami de Moorea m'emmenait le matin travailler à Tahiti, et me ramenait , dans les années 90.
*
*
*
*
*
*
*
*
votre commentaire -
Par dominiqueOriata TRON le 23 Février 2013 à 13:26
Ce poème a d'abord été publié dans "Poésie 65 " puis dans "Stéréophonies" chez Seghers , puis dans "Provence Magazine" ( scan ci dessous , et il y a aussi des photos de Dom Dom , d'abord avant mes publications dans l'immeuble ou je vivais, puis aux Vallon des Auffes , par Robert Doisneau)
*
*
version 1
*
version 2
Lorsqu' à Marseille j' étais un encore un gamin
inscrit au Lycée Saint Charles
sur la colline alors couverte d'herbes
sauvages au dessus des trains
je partais presque chaque matin avec entrain
cheminer par la rue Guibal puis le boulevard National ...
au coin des deux il y avait des feux
pour régler la circulation.
Le vert signifiait aux automobiles qu'elles pouvaient circuler
Le rouge, c'était pour les arrêter
et que les piétons puissent traverser la rue
et le feu orange,
c'était pour se préparer à un changement de directive.
Comme depuis tres longtemps je vis comme un ermite
j'ignore si ce dispositif automatique existe encore
en tous cas je l'ai expliqué aux éventuels extraterrestres
qui dans des années-lumiere trouveraient interessant d'étudier
les moeurs des fourmis humaines vivant jadis dans les cités.
Parfois je stationnais là près des feux l'air de rien
juste pour attendre le passage tellement désiré
de Mireille qui elle aussi allait au Lycée par ce trajet
Je pouvais alors lui parler un peu , si le feu était au vert
mais ensuite elle se hâtait de passer devant moi
il fallait s'engouffrer dans un tunnel creusé sous la gare
et sauf à l'entrée où s'abritaient quelque clochards
le trottoir devenait tres étroit
La fumée devenait si épaisse qu'on ne voyait même pas
la lumière de la sortie de l'autre côté dans le matin
ce n'est que plus tard que le maire Gaston Defferre
Fit percer une grande bouche d'aération dans le plafond
entre les aiguillages
Alors je me contentais de suivre Mireille de près
Elle avait de très longs cheveux chatains
qui brillaient sous les rares lampes jaunes
cela me faissait la trouver belle
sans doute parce qu'étais puceau
car en fait elle n'était qu'une sorte de poupon maigrelet
avec dans les yeux l'âge et l'intelligence
de ses plus anciens ancêtres préhistoriques
Néammoins la frustration juvénile
nous installe sur des radeaux de naufragés sans cesse multipliés ...
N'importe quel rivage ou rencontre
sont alors vécus comme une chance !
Mais au fond aujourd'hui Mireille ne me me ferait aucun effet
Lorsque je lui offrais un poème, elle était
tellement bête qu'elle ricanait
bref elle avait intérêt à ce que je ne la connaisse pas de trop près ...
Comme sa bonté son lait était déjà tari sous ses habits épais
Mais dans mes rêves je pouvais l'idéaliser
Jusqu'à ce qu'elle se mit à m'appeler Sécotine pour me dire bonjour
du nom d'une colle forte dont on a du mal à se nettoyer le doigt ...
La courtiser c'était consentir à descendre les escaliers ...
Par contre un autre jour, plus loin
une charmante pute m'invita à les monter
Elle semblait si gentille et savoureuse
que je n'avais pas compris qu'il fallait payer
elle n'avait pas de son côté compris
que j'avais les poches complètement vides...
Bref j'ai redescendu les marches 4 à 4
carrément soulagé mais inquiet
de ne pas savoir à l'avance qui était prostitué.
Beaucoup de monde, il est vrai.
Heureusement par la suite ce sont les femmes
qui se mirent à me draguer , suite à mes passages à la télé
et à m'offrir directement ce que Mireille m'avait toujours refusé ...
Même pas un baiser dans l'obscurité du tunnel !
C'est vrai qu'on n'aurait pas pu faire halte,
on aurait empêcher de passer
toute une foule de morts vivants marchant d'un pas mécanique
vers la machine à décerveler installée par les exploiteurs
ceux qui ont hérité du monde chez le notaire...
Mais quand même à la sortie du tunnel on aurait pu s'embrasser
sous un platane. Les oiseaux , eux , moins farouches
me parlaient avec leur musique et tout autour de moi picoraient
Mais là Mireille tout de suite prenait le chemin du Lycée Longchamp
dans la direction opposée à celle de mon Lycée
Maintenant peut être elle est pensionnaire à l'hospice des vieux
ou dans un appartement luxueux à s'en asphyxier
et sans doute si elle me voit un jour sur l'écran de sa télé
elle changera de chaîne pour ne pas s'ennuyer
Mais à l'âge où j'étais écolier ,
j'étais même amoureux des grenouilles !
Dans un grand bocal, j'élevais des têtards
trouvés dans un bassin, une piscine en forme de haricot
abandonnée sur le grand morne au dessus de la ville
où jadis se baignaient les cheminots mais aujourd'hui
presqu'envahie de roseaux, avec une plage de boue presque séchée
et entourée d'herbes folles et de coquelicots
Je regardais mes têtards devenir peu à peu des grenouilles,
d'abord seules les pattes de derrière apparaissaient
pour elles j'avais bricolé une petite échelle
avec des branchettes et des allumettes
qui avaient déjà flambé à leur extrémité
Lorsque mes têtards devenaient de mini grenouilles
je ne les nourrissais plus avec des miettes mais avec des mouches
que j'emprisonnais dans de petites cages faites avec des aiguilles
et deux fines rondelles de bouchon. Pardonnez moi les mouches
D'avoir été à votre égard totalitaire...
Je ne sus que plus tard que les souffrances qu'on endure
échappent à l'attention des singes à la fausse éducation.
Ah mes grenouilles je croyais vous aimer
en vous capturant avant que vous sachiez sauter
Je vous imaginais accueillir mes pleurs et mes baisers
et j'aurai vraiment tout tenté en vain
pour vous transformer en femmes !
il fallait peut être vous accepter
comme vous m'apparaissiez ...
Vous n'aviez pas peur de moi
vous me donniez de grands espoirs
en l'humanité !
Hélas le destin des têtards, des mouches et des humains
parut bientôt scellé sur différents chemins
quoique nous ayons en commun des pattes et des yeux
un estomac un intestin
et qu'à l'école on affirmait
que l'homme était la créature clairvoyante
capable de gérer cette planète en jardinier intelligent
ce qui nous donnait le droit de nous emprisonner nous mêmes
pour nous prouver que nous étions civilisés !
Alors ma chère grenouille à la beauté méconnue
va donc jouer aussi en sautant sur sa tête
avec Mireille l'écolière orgueilleuse et méprisante d'être adorée
Sois ma messagère , apporte lui
quelques unes de mes larmes,
fais nous sourire émerveillés
je suis sorti avec entrain de l'appartement familial
car si c'est ça une famille, je voudrais fuir encore plus loin
Ce matin les feux rouge vert orange sont en panne
Il faut traverser la rue à nos risques et périls
ce serait dangereux de se tenir par la main
La ville et comme un cimetière avec des coupoles d'or
où les bandits intégrés se préparent de somptueux cercueils
Tu vois Mireille je t'ai attendu caché derrière un platane
as tu vu que mon coeur est plein de couleurs
comme les plumes de l'ara du zoo et du perroquet ?
Non je ne l'ai pas recopié dans un livre mon poème ...
Ah bon, il n'a pas de sens ? t'as décroché avant de le finir ?
Mais de loin ne sens tu pas mes baisers courir sur ta peau
pour nous guérir de ce monde de fous où l'on fut enfanté ?
Quoi ? tu dis que c'est moi qui suis fou et que le monde est raisonnable
il suffirait d'emprunter les chemins balisés
à l'avance et d'être un enfant sage ...
Oh non baisers revenez moi en dansant ,électrisés
Et laissez sur mon corps vos marques
vos suçons comme des trophées
faut il apprendre à aimer les coups de fouet
n'y a -t-il que des bouches savantes pour humilier?
Non , sois plutôt la première à me voir enchanteur ...
On dirait que dans la nuit à peine éclairée
de ce tunnel plein de fumée épaisse
une fusée nous emporte sur une autre planète moins polluée
Zut elle a explosé en vol mais dans cette
pollution on peut quand même essayer
de ressusciter au milieu des feux d'artifice ...
Est ce que tes yeux tes cils sont vraiment le trésor dont j'ai rêvé ?
Pourquoi les voitures ont allumé leurs phares en klaxonnant ?
est ce pour crier mon grand désespoir, mon manque en ta présence ?
afin qu'il t'enveloppe comme des lianes grimpantes
et que nous apprenions à nous consoler, c'est si simple,
même du bout des lèvres, vais je m'empoisonner ?
c'est toi qui craint ça ? Mais j'ai brossé mes dents ,
je suis derrière toi sur mon radeau
chaque jour différent à la dérive ...
Et toi ne serais tu pas également naufragée ?
Non ;aucune plante ne parvient à croitre sur le macadam,
Ni le béton noir de suie comme nos poumons en ces temps
Heureusement que j'ai appris à habiter d'abord mes rêves
alors je ris d'imaginer qu'on se réveille toi et moi
ensemble dans une cabane avec juste des habits de feuillages
en haut d'un platane au milieu des oiseaux , des chenilles , des papillons
Par ailleurs sais tu qu'en passant sous cette lampe jaune grillagée
mon ombre est tout de même parvenue à te caresser
Qui ne dit mot consent , bon je suis rassuré
je suis maintenant assis sur le cerf volant
de tes cheveux brillants qui tombent presque jusqu'aux fesses
comme des feuilles encore vivantes de sève et parfumées
Oui je ris même à retardement 48 ans et demi apres
Je ris de ma naïveté et de ta danse même pas esquissée
danse des 7 et milliards de voiles
même quand la bête est dénudée
car ne n'était qu'en enfer qu'on pouvait se rencontrer
nous ne suivions pas le même chemin malgré les apparences
ah oui aujourd'hui tu m'as fait bien rigoler
sois en remerciée pauvre âme errante, espèce de bêcheuse
heureusement que pour toujours après toi j'ai renoncé à draguer
car c'est moi le tapis enchanté qui pouvait te faire voyager
même assigné à résidence par les éleveurs d'enfants
qui ont déjà programmé le sort des vieillards poignardés ...
http://ekladata.com/mQXAeCn2mz-_hhlk9gqVOmxJRrs.jpg http://ekladata.com/R7lP1JnDF4C2p3KaNy7hJavIuFU.jpg
votre commentaire -
Par dominiqueOriata TRON le 23 Février 2013 à 09:57
Ce poème est issu de deux autres poèmes plus anciens publiés dans la Dépêche de Tahiti en 1991. La troisième version fut publiée le mardi 9 août 2011dans les articles de la page FaceBook "Dominique Oriata Tron" . La présente version est à peine modifiée. La scène de l'écoute du soleil était originellement située lors d'une éclipse à Tahiti, j'y ai assisté dans la cour du Lycée où je travaillais . Ensuite je l'ai visualisée à Formentera au bord de la mer Méditerrannée où je venais souvent seul ou avec Flavia, lorsque j'étais avec elle, j'y passais des journées entières, je lui faisais faire la méditation des couleurs apres une séances d'asanas à la façon qu'elle enseignait. Il y avait des matelas d'algues qui , recouverts d'un simple paréo, rendaient ensuite confortable le fait de faire l'amour à l'ombre plutôt que sur les rochers. Devant , il y avait une petite plage de sable rose. L'hiver suivant une grosse tempête enleva les algue et le sable L'opus 125 ci dessous évoque ce lieu, vu de l'intérieur de la caverne , tandis que l'opus décrit le petit cap juste à côté, vu de la mer, puis les rapporta, autrement. La première fois où nous abordâmes à ce lieu , ce fut à la nage, à partir de l'autre côté de l'anse . En remontant la falaise il fut ainsi plus facile de trouver un chemin d'accès , notamment de savoir par où nous allions descendre la falaise les fois suivantes
D.O.TRON- opus 125 : te one e te ra i te otue o Berberia - sand and Sun at the Berberia Cape - sable et soleil au cap de Berbéria, île Formentera
op 32- TE TAERA'A MAI O TE RA I ROTO TE MATA, acrylique sur bois, 60 x 40
Té taéra'a maï o té ra- i roto te mata.L'arrivée du soleil dans mes yeux, mon visage. Comme en indonésien, le mot mata veut dire les yeux. En tahitien, le singulier suffit pour les deux yeux et même le visage. Ce tableau, sitôt fini, a été acheté par un américain du Sud, m'a dit le copain qui l'exposait.
*
version 4
J'avais dormi à l'orée de la grotte en bas de la falaise.
Là je ne sentais plus le passage même muet des ondes de la télé
ni des prédateurs humains acharnés à programmer mes pas
seulement les cris des gaviotas, espèce de goelands ou de mouettes
Qui tournoyaient dans les parages de leurs nids cachés sur les pentes
Et comme le soleil se levait
J 'ai cru l'entendre proclamer :
" Ici le président de l'union des créatures libres ...
(enfin, relativement libres, libres dans leurs esprits ...)
Ne vous inquiétez pas
peuples de tortues
peuples d'abeilles
peuples de pingouins
et de manchots
peuples d'araignées
peuples de panthères et de requins !
Vous savez bien que je n'ai pas l'intention
d'imposer mon gouvernement à vos indépendances fictives
... déjà vous ne pouvez vous passer de moi ...
mais je n'ai pas l'impression que vos caprices de nations
vous garantissent la félicité...
Vous avez peur d'être victorieux par la Lumière
mais vous ne craignez pas d'être vaincus par les ténèbres ...
Vous vous barricadez à l'intérieur de vos frontières
mais l'Empire sans frontières vous parque comme du bétail !
Vous imaginez qu'il vous défend contre l'axe du mal ...
Or il en a besoin pour nourrir vos inquiétudes
et vous faire oublier qu'en fait votre planète
est toute enveloppée de mes rayons de vie
et que c'est là qu'il faut poser vos questions
sur le passé, le présent et le futur , et le sens de chaque acte...
De savants singes me comparent , moi le Soleil
à une perpétuelle explosion nucléaire ...
Et toi DomDom, Oriata, si on te coupe un bras , tu es encore en vie
mais si je disparais , ton cerveau et ton coeur n'ont pas d'avenir ...
Alors lance ta danse dans ma Conscience
et ma Conscience habitera ta danse ,
et elle fera scintiller sa trace dans les mémoires,
celles qui tamisent le présent avec le sable du passé et les reflets de l'avenir ...
Respire pour toujours en moi, mon souffle sera tien !
Ca te soulagera de la malédiction de la raison d 'Etat
des porcheries associées ,des castes , des cris des abattoirs ...
Nombreux sont les patentés du savoir et les inquisiteurs
qui affirment que moi le soleil je ne suis que matière stupide
mais que resterait-il de leurs lumineuses pensées si je m'éteignais ?
Vous pouvez tous me rencontrer car nous partageons une âme commune ...
Elle danse au plus profond de votre amour et de votre paix.
ils sont victorieux à chaque battement de leurs coeurs
ceux qui ont soif de véritable identité humaine !
Même s'ils n'y croient pas , s'ils en ont les vertus, ils agissent en Dieu !
Appelons le Amour, feu du Phénix cosmique !
Patience, Courage, Bienveillance !
Eh, vous ,qui avez soif de puissance et de richesse
n'y a-t-il pas plus d'énergie à puiser dans le ciel que sous la Terre ?
Soyez donc des ouvriers de l'Harmonie
et non des prédateurs , des sorciers, des spéculateurs
prêts à tout vendre et à tout acheter, et nous persécuter ....
Les maîtres de la Mort cherchent en vain le contentement de la Vie
Ils jouent aux grands seigneurs,en fait ils sont les chefs bandits ...
Ils se font craindre pour tenter de donner de la crédibilité à leurs ombres !
Même en tuant ils ne pourront s'échapper de leur identité de zombies !
L'eternité ne s'obtient que par la reddition totale
Il faut des oreilles et des yeux accueillants pour la descente du supramental
L'amour gratuit est offert de toute parts
A celui qui fait tinter sa Conscience dans ma Lumiere ! "
wouah ,j'é kan mêm fé dé progré en dicté ...
je blague, je ne vais pas prétendre que le Soleil m'a vraiment parlé
En fait à sa manière il a parlé à la cendre de mes os
à chacun des pores de ma peau mais il ne parlait pas français
mais plutôt le langage des couleurs où j'aime me nettoyer
Bon cela ne fait aucun doute je suis un illuminé,
c'est à dire pour ceux qui ne croient qu'en l'obscurité
un grand délirant qui ne se repose jamais
Pourtant la nuit je dors, même si ce n'est pas rentable
Pour les vampires il n'y a pas de sommeil, time is money...
Les faussaires savent seulement que dans la jungle il faut intimider
Peu leur importe la lumiere au dessus de la forêt
ce sont des poissons cannibales qui ont juste besoin de nous faire glisser dans leur marigot
Les prédateurs de leurs prochains et des bêtes réconciliées avec les humains
sont déjà damnés au jour le jour par les flammes de leurs convoitise.
Bien sûr ils nous harcèlent de leurs foudres d'injustice
et nous font passer pour des menteurs ,
ils nous bombardent de mille façons , nous privent de visas sur notre Terre
ils ont même une police de l'amour pour nier notre identité
Et ceux qu'ils n'ont pas encore fait brûler dans leurs fours crématoires
se disent que ceux qui souffrent l'ont sûrement mérité,et qu' ils exagèrent.
Mais chacun son tour , les clapiers sont pleins.
Ils appellent démocratie la chasse gardée des financiers illusionnistes,
Dans leur labyrinthe ils ont ricané sur les envols de la Conscience et sur ses utopies
Leurs dieux ce sont leurs appétits, ils sont disciples de leur fatalité
Ils tuent nos corps ou nos destins ici et là à petit feu
se disant qu'on ne croira jamais ceux qui se mouilleront pour des minorités
Alors nous avons pris refuge dans l'âme du monde
car c'était de là que l'écho revenait
avec le souvenir des trains qui avaient jadis déraillé
et c'est nous qui allons petit à petit les dévaluer
En tentant de nous emprisonner les fauves orgueilleux et sans pitié
se sont enfermés dans les barbelés de leur tricherie !
L'ascèse était le souterrain où ils ne pouvaient nous atteindre
L'amour était l'élixir de l'immortalité...
et le soleil la porte du Graal qui apaise les plaies.
Leursmises en scènes religieuses étaient d'hypocrites complots de mort-vivants !
La peur qu'ils avaient semée les empêchait de guérir de leurs angoisses !
Alors merci à ceux qui ont soif de véridique
Et multiplient l'écho et les reflets de la logique du soleil
Lui qui pense au delà du crâne des singes
lui le premier illuminé mais ils sont des milliards dans le Ciel
Mais pour la bête enfermée dans son miroir
Chacun de nos pas est un piège
chaque offrande est une offense,
et chaque parole un malentendu
L'élan d'amour se fane s'il n'est qu'humain
*
Commentaires de la version 3 :
Patrick Quillier, Patricia Valdin et 2 autres personnes aiment ça.
Epervier Bleu sublimissimeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee!!!!!!!!!
11 août 2011, 18:04 · J’aime
Chantal Féedesroses Je suis aux anges en te lisant Dominique ! Merciiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ♥♥♥
11 août 2011, 19:12 ·
Epervier Bleu :tes peintures sont vraiment magnifiques, j'aime beaucoup....
11 août 2011, 22:59 ·
Patricia Valdin : Enfin un beau texte new âge ! Merci Dominique.
28 août 2011, 19:54 ·
*
version 1
*
version 2
votre commentaire -
Par dominiqueOriata TRON le 31 Janvier 2013 à 15:59
opus 127
Ci dessous photos des perruches , la volière a été construite derrière l'endroit où je danse , juste après le bassin , c'est à l'ermitage Abalyon ,sur l'île Formentera dont il y a aussi une photo que j'ai prise par le hublot d'un avion .
.
.
.
.
.
Je croyais être transparent comme le bleu du Ciel...
Hélas il fallait tout prouver, tout prouver,
tout prouver sauf l'essentiel, qui devait rester voilé
par les usurpateurs de la Beauté et de la Bonté,
et finalement c'était le mensonge qui était autorisé
du moins au sommet de la hiérarchie des humains
car les pins eux , offraient un refuge
même aux cigales pour leurs études terrestres , en dépit de leurs tics
et je n'étais plus un passager clandestin ...
.
.
Il était tentant d'imaginer le congossa des perruches
dans la volière quand elles caquetaient dans la volière :
" Nos protecteurs humains sont sûrement des Dieux
omniscients, omnipotents, omniprésents"
L'orgueil de l'enfant est ingénu,
le chat joue avec la souris, il la tourmente...
.
Elles étaient belles les perruches
arrivées exténuées sur la falaise de l'île !
Elles étaient arrivées seulement deux ,
l'une d'elle, la femelle, était blessée
et semblait ne plus pouvoir prendre son envol .
Elle trottinait près du petit bassin de l'oasis .
Le mâle traversait en volant le bosquet à l'entour, en tous sens
attendant que sa compagne retrouve des forces.
.
Mon ami andalou Antonio Marin, qui était venu sculpter là
comprit qu'il fallait protéger la perruche blessée
Il voulut construire une cage où pouvait tenir six hommes et six femmes debout, les bras levés
avec un toit transparent pour éviter la pluie
et je l'aidais avec la tenaille à fixer le grillage aux barres de fer .
.
Au milieu de la volière fut planté un arbuste ,
avec des nids artificiels
de bois au parfum de genièvre
.
Bientôt le mâle revint rejoindre sa bien aimée
El la cage fut fermée.
A travers le grillage tout autour coulaient des graines
que les oiseaux amoureux picoraient.
C'est alors qu'ils se multiplièrent ...
Elles étaient belles les perruches !
Il y en avait des bleues et des dorées
des rouges et des grises !
.
Leurs enfants sortaient de leurs oeufs chacun à son tour
puis un matin décisif ils se lançaient dans les airs
se jetaient du haut des planchettes posées sur les branches
et parvenaient directement à voler
sans parachute ni hélicoptère !
Quel était donc leur secret
comment avait-il pu à ce point pénétrer leur chair ?
.
Au bout d'un an, Antonio, dit Toni, décida de laisser ouverte la porte
par laquelle il passait pour entrer nettoyer la volière.
La moitié des perruches décida de sortir,
mais elles restèrent stationner à l'entour.
Certaines étaient capturées et dévorées par des oiseaux rapaces de la forêt
La cage se révélait abri.
.
Ainsi nos corps sont des refuges pour l'âme
sans cesse harassée par les vents forts de la confusion ...
Dans l'Univers Divin, la liberté est tellement accessible
que les rêves se déchaînent pour le meilleur et le pire
et nous nous apaisons dans la distance de nos cages thoraciques
afin de mieux nous orienter le jour de la sortie
et ne plus sacraliser nos attentes
vêtues d'habitudes mentales !
nous apprenons à voler par le dedans de la chance
avec les ailes de l' Amour
sans maudire le jeu exigeant du déchiffrage.
.
Nous ne sommes pas omniscients, omnipotents, omniprésents
Nous sommes calés dans nos limites et et nos estomacs
mais la Lumière nous incite à des fusions Divines
et le savoir des couleurs déborde de nos mâchoires et de nos oreilles !
.
Là sont les espérances de nos révoltes
Afin que soit reçu le supramental possible
pour une évolution de l'espèce enfin créatrice
délivrée des esclavages et des convoitises ...
.
La Lumière donne le choix de l'ombre ...
Dans l'obscurité nous pouvons aussi nous égarer
ou nous retrouver, renaître différents, et désirer la source !
.
D'abord élançons nous sans crainte vers le haut
mais pour trouver la direction il nous faut tâtonner
et la vigilance est salutaire.
.
La mémoire de nos alliés balise aussi les chemins de l'air,
chacun est une facette du diamant transparent
où le regard pénètre les scintillements des arc-en-ciels intimes
.
.
_____
.
.
.
.
.
Ci dessus : Toni dont il est question dans ce poème , Toni qui a été après moi le conjoint de Christine à partir de 2001 ,et qui est en train de sculpter , puis debout bras ouvert sur un rocher
votre commentaire -
Par dominiqueOriata TRON le 27 Janvier 2013 à 11:12
Dominique Oriata TRON en 2012
.
.
version 7
.
.
Ayant perçu le rayonnement amoureux des étoiles
en chantant je gravis les rayons noirs de la nuit !
Même les lèvres closes mon chant me conduit au refuge
où le tyran jamais ne parviendra
lui qui préfère la souffrance à la mort de l'égo
.
La voix qui chante en moi est pétrie de silence
et me dit que la mort n'existe pas
.
Sur ce rivage immaculé d'enfance et de sable infini
le tyran un empereur de Chine sans trône ni pays
écoutait angoissé les mauvaises nouvelles
à la radio, j'avais peur de le voir cracher du feu et hurler
mais il se contenait hypnotisé et il semblait se consumer
.
Dans le jardin des géraniums rodaient aussi
des esprits volatils peut-être jeteurs de sorts
au milieu des parfums lancés par les feuillages
tout près de l'océan tellement calme cette nuit là
.
Ecoute, l'empereur, la sagesse n'est pas
de résonner sans fin dans le cri des vampires ...
Ils ne pourront jamais éteindre la lumière avec leurs crocs.
Ils sont là certes pour piéger toutes les familles d'humains
Alors tu dois savoir : la misère difficile à soigner
c'est l' obsession de régner pour toi seul sur la terre !
Ta clairvoyance est seulement de la résignation
.
Entre dans la chanson qui te consolera
et t'aidera à voir en face ta souffrance
et peut être qu'il sera vaincu le dragon cannibale ...
Alors pour mieux l'abattre aime ta femme et ton enfant
et sans ciller porte la croix de ta naissance jusqu'à l'étoile !
Et là soulage toi du poids de tes erreurs
et des coups encaissés et de tout ton malheur ...
Oh oui je sais tu n'as appris nulle part ce chemin là,
c'est pour cela que je chante en dépit des obstacles
afin de les franchir et que l'écho de ma voix
fasse sonner aux oreilles de l'enfant tracassé par ta folie
le jour d' espoir et de courage !
;
Bien sûr que l'être humain a des dents comme une bête
Aussi pour ne pas avoir à imiter les salopards
ouvre ton coeur et tes oreilles à la chanson
qui fraye le sentier où tu te sauveras
par l'amour en dépit de tous malentendus !
.
Et même abandonné de tous avec ce chant tu trouveras
l'âme qui est Toi même et te guidera joyeusement vers le ciel !
Faut il toute une vie pour comprendre l'enfance ?
.
Sonne, sonne , piano, et toi bats la mesure , enfant
fais tinter le triangle argenté qui scintille et t'éveille !
Il te donne les armes de ta délivrance
alors même que la horde des animaux
te menace même en rêve avec ses couteaux ...
.
Ah oui je veux jeter mon destin dans le feu
et gravir en chantant l'échelle bleue du matin
et toi Nanihi mon amour danse encore sur mon chant
afin de me donner la réplique et la preuve
qu'il n'aura pas été dans cette vie un soliloque !
.
___
.
.
.
AUTRES VERSIONS
.
.
Ce poème et ces images sont des réminiscences d'une scène à laquelle j'ai assisté dans mon enfance à Agadir en 1954 ou 1955 . Contrairement à la vision édénique de l'oiseau du paradis récurrente dans ma vie, il s'agit d'une sorte de cauchemar, probablement éveillé, avec sur la véranda , ma mère Yvette posant sa jambe sur mon cheval de bois . Sa jambe en effet ne pouvait plus se plier suite à un accident de vélo. Mon père Ferdinand écoute la radio et enfant je perçois son angoisse comme de la colère. Je suis rentré précipitamment du jardin sur la plage car j'ai cru sentir un mauvais esprit roder . C'est l'époque où ma mère me fait débuter en musique, mais lorsqu'on quitta le Maroc , Ferdinand voulut m'en interdire l'étude que je ne repris qu' adolescent , après avoir quitté la maison de mes parents. Je fournis ci dessous diverses versions de cet opus, de la plus récente à la plus ancienne. Pour lire les notes de musique ci dessous, il faut savoir que le u indique le dièse. du = do #, les majuscules indiquent l'octave inférieure, et les notes écrites plus petites et plus haut indiquent l'octave supérieure. Adapter à la tessiture qu'on a plutôt que de se référer au la 440. On trouvera une explication plus complète de ma notation dans l'article "Méthode catalytique d'étude musicale" aux éditions A l'ECOUTE, hors commerce sur le net.
.
version 6
.
.
version 5 :
.
.
.
version 4 :
.
.
version 2 :
.
Dominique Oriata Tron à Agadir à l'époque de la scène évoquée par cet opus , en compagnie de ses grands parents Louis et Marie Rufine Cottalord :
.
Note de Dominique Oriata Tron : Le présent blog http://tron.eklablog.com/ est une continuation du blog Editions A l'écoute, arrivé à saturation vu qu'au delà de son remplissage actuel le site Blog4ever demande de payer, or je suis endetté à cause de problèmes administratifs artificiellement créés par des fonctionnaires pour qui mes choix de vie menaceraient la civilisation des blancs , ou leurs privilèges. Donc désormais j'archiverai sur http ://arevareva.eklablog.com toutes sortes de textes que j'ai aimé lire , pour les relire, et je les effacerai sur simple demande de l'auteur. Pour des explications détaillées de ces problèmes voire des actions solidaires , consulter d'abord les Editions à l'écoute , hors commerce, telles qu'elles ont rayonné de novembre 2012 à janvier 2013 http://oriata.blog4ever.com/blog/index-515069.html Pour mon blog central ART CATALYTIQUE, cliquer sur : http://tronoriatadominique.over-blog.com/
votre commentaire -
Par dominiqueOriata TRON le 17 Octobre 2012 à 18:32
Cette année là nous avions pris le bateau à Casablanca
Et lorsque nous sommes passés devant le rocher de Gibraltar
ma mère Yvette me tendit ses jumelles et me dit
"Regarde les singes !"
Puis nous sommes arrivés jusqu'à la maison de l'oncle Antoine
au milieu de ses vignes , en Provence.
Un matin, à l'étage .
La fenêtre est largement ouverte ...
Près de mon lit se dresse un chevalet
avec une toile blanche sur son chassis.
Les pinceaux sont posés tout près .
Peut-être aujourd'hui Antoine va se remettre à peindre
après avoir encore contemplé la campagne
l'esprit dans le vide et dans la paix .
A mon éveil
un oiseau pénètre à toute allure dans la chambre...
Il fonçe sur la surface blanche ,
puis s'en écarte aussi vite, pour s'en retourner
par la fenêtre...
J'entends l'écho du glissement de l'air
sur les plumes colorées lancées à toute allure
Lorsqu'il a fait son virage j'ai cru voir son aile traverser la toile
Pourtant elle ne l'a pas déchirée.
L'oiseau bariolé a fait demi tour
Il a plongé dehors vers le haut, très haut, très haut
dans le ciel bleu de sa naissance !
Les couleurs laissées par l'oiseau
rayonnent, palpitent sur la toile de lin
se fixent
puis s'effacent
Par la fenêtre : les collines du Lubéron, au loin.
Et plus près, une rangée d'arbres fruitiers
à la limite des vignes ...
Des orangers, des grenadiers et des figuiers,
un cerisier
je grimpe sur une grosse branche
je cueille une cerise rouge.
Maintenant tout ést silencieux
Aucun bruit à l'étage ni au rez de chaussée .
Puis les cigales
cricrissent
Beaucoup, beaucoup, beaucoup plus tard
j'ai soupçonné ce souvenir
d'avoir été un rêve et non une vision
comme lorsqu'un oiseau se cogne à une vitre
mais qu'est ce que cela change ?
Ce matin là reste plutôt gravé dans ma mémoire
comme celui de l'Eveil !
Eveil ,
théâtre de Lumiere dans l'or de mon sommeil
les yeux clos dans la paix des rayons du Soleil ...
Une halte dans la marche forcée vers le néant
où nous orchestrent en aveugle
les mâles dominants ,comme au zoo
chez les babouins !
Eveil pour démentir dans mon intimité
La voie des empereurs , le despotisme
universel ou domestique,
sur le territoire minuscule ou immense
de toute contrée!
Oui
c'est là que mon âme a trouvé
le réflexe instinctif de l'éveil
pour digérer le songe de l'incarnation
le temps qu'elle allait durer ...
Etre poète c'est se donner le souffle
de tout dire ,
y compris l'ineffable bon ou mauvais
sans crainte des primates mal intentionnés
allergiques à la clarté
comme à l'obscurité .
Mon soliloque s'est ouvert en toute langue
à l'instant propice à l'audace
dans le consentement au dialogue.
Avant de savoir si ta naissance
est chance ou malchance
enfant dépose le fardeau des générations
qui t'ont précédé, et l'autorité
de leurs ventriloques toujours prêts
à justifier leur règne empoisonné!
Pèse le sens de tous les héritages
il y a l'héritage des chaînes, et les sentiers de liberté.
Je n' hésiterai plus , avant de m'en aller
à mettre ma mémoire en partage
Une foule de raisonnables patentés
se donnent le relais pour se pavaner
et du coup leur délire passe pour vrai,
la loi de la jungle revue et corrigée pour te piéger !
Attention, ton dressage
n'a pour priorité que la gouvernance
du fermier sur le bétail ...
On distribue encore des bibelots aux singes
pour qu'ils consentent à l'esclavage
Certes pour éviter les fauves il est parfois prudent
de brouter derriere des fils barbelés .
Le fermier est lui même un des acteurs de la basse cour
mais s'il est cannibale
vas tu dissuader avec tes cornes
le berger qui te raconte son évasion ?
Sur cette planète il y avait aussi
ceux qui applaudissaient à l'unisson
à la fois le sensé et l'insensé
mais trouvaient finalement plus de sagesse
dans la trahison ...
Êtres doubles , déchirés
C'est à cause de vous que je dois mendier
à moins qu'il soit davantage digne
de vous cirer les souliers.
Qui empêchera les déguisements
de l'âme libre vendue aux démons ?
Les humains rêvent de Dieu à leur image...
D'autres ne voient dans le Soleil qui les tient debout
qu'un gyroscope de feu
un objet ignorant
car eux seuls se sont qualifiés d' êtres pensants
Eveil hors du cauchemar
de la gloire et de l'exemple des titans .
Evade toi du rythme absurde
de la peur minutieusement calculée
qui t'asservit à leurs chantages
Selon ce que j'ai vu, les rituels de l'histoire
servaient le plus souvent à contrôler l'espace et le temps
et les générations tournaient en rond dans des déserts stériles
sans savoir se nourrir des arbres de cristal
que des illuminés avaient fait croître !
La confusion enchaîne le maître avec l' esclave.
L'oiseau savant peut guérir ton attente et te fortifier
Résiste aux illusions déguisées en fatalité
Résiste à l'autohypnose des bêtes ensorcelées
celles qui ont bu le poison mélangé au lait
Résiste à qui a préparé cette mixture
même si elle l'odeur de miel de l'hydromel.
L 'oiseau Phénix un jour m'a fait l'offrande
de son identité transparente
quelle que soit la forme aimable
que je lui créerai !
L'empereur et sa concubine
n'ont que des yeux , des oreilles d'animaux
Ce qu'ils veulent perpétuer c'est leur espèce
Ils brisent le miroir muet qui affiche
avec insolence leur orgueil.
Ils ne voient pas digne d'hériter
l'enfant au coeur tatoué de couleurs et de chansons
Les sens humains sont limités
Oiseau Phénix tu es mon fils et et mon père...
Seuls sont logiques Amour et Liberté
Mais pour les comprendre il faut l'humilité
et la patience de les déchiffrer !
La foudre était jadis tombée
sur ce mas de Provence.
Elle était entrée par une cheminée.
Tante Léocadia avait roulé dans un tapis d'étincelles
Le feu avec elle avait dégringolé l' escalier
Sans la blesser
La famille était incrédule pour tout ce qu'elle n'avait pas vu ,
par exemple l'oiseau venu m'inspirer
Mais ce dont on est témoin , comment le nier ?
L'éclair qui avait ailleurs tué
on le respectait.
Et moi cet oiseau je l'ai vu même si c'était en rêve.
Il m'a montré comment orienter le hiéroglyphe
de mon incarnation passagère
afin qu'elle me soit plus légère.
Aussi je dois, avant de retourner au Ciel
armé du seul passeport
de mon âme invisible aux contrôleurs inhumains,
je dois te tatouer lecteur de ces lueurs
Attrape ce boomerang de lumière
et fais passer.
Chacun s'illumine dans le relais.
j'accomplis ma tâche pour que les vents me poussent
ainsi qu' une antique montgolfière
vers là où les malédictions
ne pourront plus me souiller !
Il fait chanter le temps ce travail
de témoigner des bienfaits de l'éveil ,
mais aussi
des crimes et mensonges
presque parfaits .
Ceux pour qui je ne suis pas un parasite à balayer,
m'ont fait parfois l'aumône sans même m'écouter
ainsi qu'à un mendiant qui délire
devant la porte de leur église .
Merci quand même, cela prouve au moins
Que les perroquets ont un rôle à jouer
tant qu'ils ne se sentent pas menacés
par le Phénix, Quetzacoalt,
e Simorgh, Taaroa, Hamsa ton propre souffle,
Alors mon frère, ma soeur en humanité
accueille le nouveau monde vivable
épris d'air pur et de lecture
loin de tout marchandage !
Accueille moi un peu dans ton regard
Es tu si sûr de détenir toutes les clés
pour ouvrir toutes les serrures ?
Montre moi le chemin de ton rivage !
Là où le phénix demeure ,
nous serons tous recompensés
de nous oublier dans le partage
de son écho, même fredonné
Ceux qui s'en fichent peuvent bien ricaner
de la veillée ...
Il est essentiel de négocier des lois
pour chasser le renard du poulailler
il s'est clamé gardien, l'illusionniste
A notre tour de l'escamoter.
E te manurere o te Pārataito,
Meho Nui Ha'atupua,
'ua 'ite 'oe iā'u te ara o te arara'a :
Parau mau !
E'ita e mo'e iā'u
i tō 'oe mau 'ū pohe 'ore !
Mého Nouï, Garouda, Bouroung Chandrawasih ,
toi c'est mon moi pour me sortir de la noyade !
Et ce qui est véridique aussi
c'est le mauvais coeur qui inquiète
la chenille en gestation dans le cocon
en dépit de la bonté inlassable
des couleurs de l'Eternité
*
TE ARARA'A MĀTĀMUA,
opus 1 : acrylique sur carton encadré , 66 x 50
Tel est en effet le titre inscrit au dos de ce tableau, avec la signature, car je ne signe jamais sur la face peinte, ce serait comme écraser une mouche sur une vitre en regardant un paysage . Les voyelles se prononçant différemment en tahitien, entendre : Té arara'a ma+ta+mou'a , ce qui veut dire en français : l'éveil ancien, premier, du début..
Lorsque j'étais enfant au Maroc, mes parents vinrent une fois passer des vacances en Provence où étaient leurs familles, notamment dans la campagne de Pertuis (Vaucluse) où mon grand-oncle, Antoine Krébil, vivait avec tante Léo dans une maison entourée d'arbres fruitiers et de vignes.
Tout comme mon grand-père Louis Cottalord, tonton Antoine aimait peindre, en particulier les paysages de Provence. Et à l'étage, dans la petite chambre où je dormais seul, il y avait un chevalet avec une grande toile vierge, qui faisait face à une fenêtre ouverte. Cela faisait du temps que l'oncle n'avait pas touché aux pinceaux , il avait peut être laissé là ce matériel pour être tenté ...mais qu'ajouter à la beauté du paysage ? ou alors peindre est l'occasion d'aiguiser le regard ?
Or un matin , en m'éveillant, je vis, à la vitesse de l'éclair, un oiseau multicolore qui se précipitait par la fenêtre jusqu'à la toile, puis, sans ralentir , son parcours fit une boucle , et il repartit d'où il était venu. Ensuite, pendant quelques instants , subsista la trace multicolore de son passage sur la toile vierge, comme s'il s'agissait de son sang, de sa chair, de sa vitesse.
Trace indélibile dans ma mémoire , rayonnant un message d' éternité, et je peux m'imaginer chevaucher son double astral pour accompagner cet oiseau là au dessus de la campagne. Mais à force pédagogue, il semble que les graines de l'Eveil ne prennent qu'un temps sur cette Terre. C''est peut être l'indication d'une étape ultérieure où soit durable l'éveil à la conscience cosmique , par libre choix .
C'est que les mots ne suffisent pas. Tout le monde veut renaître Phénix, mais il y a les flammes purificatrices et celles de l'enfer, et à force de mélanger les ambitions contradictoires, on se retrouve au pays des iwawas, des zombis, des tupapau , prononcer toupapaw ... il y a un sens aux actes et aux choses en deçà et au delà des mots. Je suggererai que ce soit cela leur sphotas, même si je ne suis pas sûr que c'est ce dont veut parler Daumal, dans Bharata, quand il évoque le sens dénominateur commun à un mot et à sa traduction .
" Une langue inconnue parle en nous, et nous mêmes nous en sommes des mots, détournés du réel" écrivait Pessoa, traduit par Quillier . Sans le sens métaphysique des formes d'esprit et de matière où s'engendrent les créatures ou les objets , pauvres sont les mots, juste utiles à jouer avec l'anxiété de survie de la bête. "
Avec l'âge ,je me suis dit que ce qui m'était arrivé avec cette première vision de l'oiseau bariolé, ce n'était peut être pas une vision reçue au moment où j'avais ouvert les yeux, mais un rêve. J'avais peut-être dormi jusqu'à ce que les rayons du soleil viennent colorer mes paupières closes. Mais qu'importe, même aujourd'hui, en repensant à ce moment crucial de mon existence , j'en ai un souvenir comme d'un fait plus réel que tout ce que je vivais alors.
Mon frère Freddy n'était alors pas encore né . L''ambiance familiale au Maroc avait tendance à se limiter, depuis quelques années aux mines renfrognées et aux coups de gueule d'un père que je percevais comme un despote. Dans mes poèmes adolescents je l'appelais "l' Empereur de Chine", puisqu'en dépit du dernier empereur devenu jardinier, c'était en principe contre le despotisme qu'on faisait des révolutions . A moins que le despote , le fauve prédateur ne soit en chacun une option actualisable, pour prendre le relais des potentats.
Ferdinand pourtant avait souffert du pétainisme,radié de son emploi de dessinateur parce que né étranger, mais voilà, ayant peu connu la tendresse de ses propres parents harassés par la vie, il ne savait pas rayonner l'amour. Seulement une angoisse déguisée de certitudes sur ce qui était réaliste dans la vie, et pour le chien de garde c'est la voix de son maître qui est l'exemple absolu, quand on a trouvé un peu de répit dans une niche .
Et voila que par ce rêve, le visage baigné par le soleil dans mon petit lit, s'était révélée une Réalité tellement plus consistante que je n'allais plus laisser ma mémoire s'en éloigner. On pouvait bien tout tenter pour décourager ma vocation d'artiste , je ne voyais pas de quelle félicité jouissaient les esclaves et même les maîtres et leurs portées.
Lorsque j'ai peint ce tableau, je m'étais représenté comme un être asexué, puis ensuite j'ai voulu représenter une femme , comme pour inciter l'oiseau à visiter ma compagne . Je vivais alors avec Christine , et j'ai toujours souhaité ardemment partager mes inspirations avec les femmes que j'ai aimées.
Au fond le monde entier pouvait m'ignorer, pourvu que ma compagne soit capable de tout partager, même ce regard qui me traversait. Excessif , naïf, utopique , tyrannique ? C'est à voir ... Ce fut en tous cas une des obsessions fertiles de ma vie dans cette incarnation, et l'oiseau exorciseur, symbole de Délivrance , me paraissait davantage digne de fidélité que les charmes de la sensualité, si je devais les payer par l'enlisement de mon espace, de mon temps et de ma créativité ...
Je pense que l'on est sur terre pour se créer, mais librement car le monde ne peut accéder au Divin avec une conscience de machine. D'où probablement la clé de l'énigme du mal. C'est librement que l'on peut réaliser l'Union Cosmique.
Plus tard sur cette image j'ai ajouté la fleur du sexe d'homme , comme si finalement je devais assumer que ce souvenir c'était seulement mon histoire . Rêve possible à partager, mais mettre le haut idéal dans les désirs de la chair, c'est un paradoxe que seul l'exemple peut inciter à pratiquer, comme une clé de l'évolution, la pénétration de l'esprit dans la matière. ...
Ce tableau fut acheté dans une galerie de l'île de Formentera ,je l'avais encadré moi même , une fois le carton de marque Canson posé sur une pièce de contreplaqué de sa taille . On remarquera que la toile représentée dans le tableau ressemble à une deuxieme fenêtre à côté de la fenêtre, quoique dans mon souvenir elle lui faisait face.
Le lit semble suspendu dans le ciel bleu où poudroient des éclats de couleur. La blancheur de la toile , la nudité et les pentes de verdure suggèrent des parcours possibles . Tant l'éveil est va plus facilement se proposer dans une vie vierge de souillures choisies . Si la conscience et ses sens vassaux sont réceptiifs et l'art catalytique du supramental divin n'ensemence pas sur du macadam mais il faut aussi notre volonté . Jadis ,les religions se bâtissaient à travers des poèmes et des visions sacralisées par le consensus social. La peinture était là pour illustrer les textes. Ici ce sont les mots qui sont des outils , comme les couleurs, pour que l'éveil silencieux ou chantant soit trouvé.
Cet oiseau, symbole de la bienveillance cosmique des astres, devint le repère central de la mythologie instinctive où ma vie a trouvé son sens , son épanouissement , je n'ai pas fait de son image une icône pour un culte, et je conçois que chaque regard rêve autrement de cet oiseau ou d'un autre symbole, chaque vie est une équation à résoudre.
Quoique sous de multiples formes, l'Oiseau venu du paradis a commencé alors à me nourrir d'un rayonnement qui longtemps après m'a paru émaner du supramental Divin , mais perçu selon les limites des organes sensoriels et de la réceptivité psychique du petit singe français que j'étais ,né dans l'Atlas Marocain .
Ce sont les oiseaux des Galapagos, qui ne craignaient pas l'homme, et Christian Zuber avait des films pour le prouver, qui m'aimantèrent lorzsque j'avais 12 ans vers une vie dans le Pacifique . Mais je n' y arrivais que bien plus tard .Dans la cosmologie tahitienne ,Taaroa est l'oiseau né de l'oeuf du monde . Il laisse tomber quelques unes de ses plumes pour qu'elles se plantent et deviennent des arbres . Dans un autre de mes tableaux, ce moi qui s'est pris pour Taaroa a semé des arbres-guitares .
Peu avant la vision de Pertuis il y a eu deux deux autres iscènes fondatrices de mon cheminement sur cette planète , toutes deux à Agadir. L'une est infernale , c'est la vision de mon père les yeux exorbités écoutant la radio pendant que je suis près de ma mere, dans l'ombre de la véranda , une de ses jambes posée sur un petit cheval de bois . La baie vitrée de la véranda est ouverte sur la nuit et le jardin. Je frissonne apeuré d'imaginer des fantômes, des diables, comme s'ils me narguaient.
L'autre vision , sur la plage très déserte au delà de la ville où était notre maison, est celle d'une très jeune femme noire sortant de la mer, avec un pendentif en or scintillant entre ses seins mouillés .
En fait, pendant longtemps je n'ai accordé aucun sens à ce rêve éveillé de l'oiseau merveilleux . Puis, un jour, à Nice, je fus ébloui de retrouver cet oiseau, sous une forme différente , comme pour fournir une signification supplémentaire . Il s'élançait d' un arbre sur une miniature arabe ornant un mur chez Jean Pierre Boursier Mougenot , dont les grandes sculptures étaient incrustées de bouts de miroir .
Et vers 1970, dans la série de mes Pictographies, c'est encore cet oiseau qui me délivre de la caverne de chair ancestrale . Voir l'opus 463 , qui se trouve dans ces albums : https://www.facebook.com/pages/FONDATION-ABALYON/168165169931580?sk=photos_albums .J'avais imaginé l'édition de ces Pictographies sous forme d' un livre rouleau où les symboles suffiraient au récit ...
Plus tard, de mon deuxième séjour à Bali en 1974, j'avais également suspendu au dessus de l'entrée de la chambre où je dormais un dessin en couleur de cet oiseau que j'appelais Amour, à côté d'une cage. Je prévenais que dans la cage on ne pouvait apprendre le secret de son vol.
La même année , alors que je cheminais dans un torrent au fond d'un précipice, pres du village de Batuan, l'oiseau du paradis vint m'éveiller de façon encore plus explicite . C'est le thème de l'opus 14 qui se trouve également dans ces albums : https://www.facebook.com/pages/FONDATION-ABALYON/168165169931580?sk=photos_albums
C'était semble-t-il vers midi, car j'étais entouré d'eau mais aussi de Lumiere, et le soleil doit être au zénith pour pénétrer dans la gorges profonde creusées par la rivière, où je me trouvais. j'en ai parlé dans plusieurs textes déjà , c'est vrai que je ne me lasse jamais de revivre ces moments ... Comme il est bon de se répéter quand c'est pour partager l'éblouissement dont me gratifia cet oiseau, qu'on peut qualifier d'imaginaire, cela ne le dérange pas !
Etrangement la nuit du deces de mon pere, la salle de l'hopital où il respirait encore se transforma soudain , comme une projection astrale plus forte que le constat de mes yeux physiques, en une sorte d'hologramme réactualisant la scène où j'avais entendu le cri de l'oiseau du Paradis à Bali. Les cascades de Batuan semblaient répandre leur fraicheur jusqu'à la conscience de Ferdinand et 'en approchant de son dernier souffle , il semblait être devenu un un peu réceptif , impression tout à fait subjective... et en contraste avec ses dernieres paroles, lorsque je le soutenais pour le conduire vers l'ambulance qu'avait appellé Freddy, et que je lui disais " respire à fond, cela va te donner des forces", il avait répondu : " Ca , c'est de la fumisterie :"
Ci dessous on trouvera aussi une photographie du petit Domdom dans un arbre , prise à Pertuis à l'âge de la vision inaugurale, ainsi qu'un autoportrait peint à l'huile par l'oncle Antoine , et un portrait de Léocadia son épouse , coloré par le photographe, son époux semble-t-il , peut être avec l'appareil de Louis Cottalord, mon grand père.
Louis Cottalord officia longtemps avec un gros appareil de photo, de la taille d'une petite caisse de bois , la couleur était quelque chose entre l'ocre et le jaune , avec des stries marron, le tout vernis , et là dedans il enfilait des plaques de la taille d'un livre et couvrait sa tête avec un tissu noir, pour éviter que la lumière ne s'imprime trop tôt .
Je dois préciser que l'oiseau de Paradis s'écrit Burung Candrawasih en bahasa Indonesia, même si dans une strophe en français j'ai préféré écrire Bouroung pour restituer un peu la prononciation . Et si le poème avait été en anglais, j'aurais écrit Garuda, plutôt que Garouda . Garuda, la monture de Vishnou que l'éléphant appelle à son secours quand il est attaqué par le crocodile ...
Quelques vers du poème me sont venus en tahitien. En reo maohi, le u se prononce ou, le e = é, ai = aï, le h est audible , le tiret sur les voyelles les allonge, on roule les r et le ' est le coup de glotte . Je reproduis ici ces vers , et donne leur équivalent en français :
E te manurere o te Pārataito,
Meho Nui Ha'atupua,
'ua 'ite 'oe iā'u te ara o te arara'a :
Parau mau !
E'ita e mo'e iā'u
i tō 'oe mau 'ū pohe 'ore !
O toi l'oiseau du Paradis
le grand Discret exorciseur
tu m'as montré le chemin de l'éveil !
Parole véridique !
Impossible de perdre la mémoire
de tes couleurs sans mort !
*
Voilà quoi je ressemblais à l'époque de la vision inaugurale , à Pertuis :
*
l'oncle Antoine Krébil, par lui même , peinture à l'huile :
*
la tante Léocadia :
*
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique